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Don Giovanni – Aix 2010 par Tcherniakov et Langrée

Alors que le Festival d'Aix vient de reprendre cette production signée , BelAir nous propose en DVD (et Blu-Ray) la version princeps de ce spectacle, enregistrée en juillet 2010 avec une distribution assez proche, mais un orchestre tout à fait différent puisque dirigeait alors le , qui n'est pas exactement le London Symphony Orchestra fouetté par Marc Minkowski cette année.

On a déjà beaucoup discouru sur cette vision du chef-d'œuvre du duo Mozart – Da Ponte et le lecteur attentif saura déjà que a réinventé les personnages, juste un exemple parmi d'autres, Leporello n'y est plus le valet de son maître, rien que ça. On renverra donc le lecteur vers le compte-rendu des deux spectacles de 2010 et 2013 pour plus de détails. Et on se concentrera dans ce qui suit sur la capacité de cette vidéo à être vue et revue chez soit hors des conditions du festival.

Et là le premier obstacle à franchir est celui de la cohérence du tout, texte, musique, action. Et il faut bien le dire, quelques secondes suffisent pour commencer à être taquiné, puisque dès la première scène, et juste après nous avoir présenté Leporello comme « un ami de la famille du Commandeur », l'excellent entonne son « non voglio più servir » qui laisse perplexe le spectateur qui se demande bien pourquoi celui qui n'est pas « serviteur » ne veut plus servir. Tout ce premier air semble déjà en porte-à-faux. Il y en aura plus d'un par la suite : Elvire et Don Giovanni face à face, yeux dans les yeux déclamant un texte où ils ne sont pas sensés se voir ; Don Giovanni offrant « son fer » à Donna Anna, on se demande encore où est le fer en question puisque l'épée qu'il est supposé mettre à disposition d'Anna est évidemment absente … Ailleurs c'est la musique qui contredit l'action comme lorsque Donna Anna quasi nymphomane raconte sa fable à Ottavio, feignant juste de reconnaitre l'assassin de son père, elle viole littéralement son fiancé, pourquoi pas, c'est finalement cohérent avec le reste, mais pas avec la musique qui accompagne cette scène.

Étrangement on peut même se demander si la mise en scène n'est pas un peu paresseuse car ne faisant pas toujours l'effort de rendre crédible certaines situations, le plus fort étant la scène où Leporello doit se faire passer pour le Don, ce qui est impossible tel que c'est montré, le jeu de dupe ne marche pas. Si c'était bien le jeu de dupe prévu par Da Ponte, la mise en scène ne fonctionne pas, si c'était autre chose, l'honnête homme risque bien de  repartir de là avec un énorme point d'interrogation sur la signification de cette scène.

Clairement la vision du metteur en scène russe revoie tellement l'œuvre qu'on peut affirmer que ce n'est plus le Don Giovanni de Mozart – Da Ponte et que le présenter ainsi relève de l'imposture. Certes l'imposteur a du talent, un sacré talent même, tellement fort qu'il prend le pas sur le respect de l'œuvre, pour reprendre la formule consacrée, se sert de l'opéra pour raconter son histoire, mais ne sert pas l'œuvre. Flirter avec cette limite est certainement ce qu'on attend d'un artiste de sa trempe, disons que cette fois-ci, il a outrepassé cette limite. Dans le bonus, parle de cette vision, qui l'a surpris aux premiers abords, mais dit-il qui « finalement fonctionne bien », ajoutant que « si Mozart et Da Ponte l'avaient vue ils l'auraient sans doute aimée », peut-être bien, mais ils n'auraient surement pas écrit le même texte ni la même musique.

Justement revenons à la musique avec un ouvrage présenté ici dans la version de Prague augmentée d'un air d'Ottavio et d'un de Donna Elvira. Si les incarnations des personnages par l'équipe internationale réunie ici étaient de très haut niveau, la qualité de la direction d'acteur y étant pour beaucoup (voir les interviews en bonus), la qualité purement vocale n'était pas pour autant renversante. A la décharge des chanteurs, on peut dire qu'ils n'étaient pas forcément mis dans les meilleures conditions, affublés de perruques et chauds et encombrants vêtements d'hiver en plein cœur de la chaleur de l'été aixois. Cela nous avait frappés en 2010, et nous nous étions alors demandé en quoi des tenues plus adaptées auraient dénaturé la teneur du discours, tout en offrant aux chanteurs le confort vocal qui nous avait bien semblé leur faire défaut. Dans le bonus, Kristine Opolais en apporte, avec humour, la confirmation. Ainsi donc on ne sera pas surpris de trouver certains protagonistes un peu à court de souffle, certes à commencer par qui ne se ménage pas et qui en paye le prix, mais tous ses camarades sont plus ou moins touchés par ce symptôme. Comme rapporté dans l'article sur la représentation 2010, les hommes s'en tirent un poil mieux que les femmes. On reprendra à notre compte les commentaires d'alors sur la direction de avec son , résumé en trois mots : vif, dynamique, enjoué. On aurait aimé un plus de variété expressive, plus d'adaptation dans l'accompagnement de chaque situation et chaque scène, plus de nuances de tempo et d'intensité. C'est incontestablement brillamment fait, l'orchestre y est remarquable, mais c'est trop uniforme du début à la fin, et du coup il n'y a pas vraiment de grands moments à vous donner le frisson.

Avec ses qualités et ses défauts, ce Don Giovanni n'est sans doute pas pour tous. Ceux qui coincent sur l'imposture évoquée plus haut le rejetteront en bloc. Pour ceux qui passeront outre on recommandera de le voir dans les conditions du direct, étant persuadé que cette version doit se voir une fois, mais que sa vision répétée risque de trop mettre en évidence ses défauts.

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