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La résurrection de Caterina Cornaro de Donizetti à Montpellier

Caterina Cornaro, dernier opéra de Donizetti créé de son vivant, était jusqu'à maintenant peu connu même chez les grands mélomanes. C'est seulement dans les années 1990 qu'on redécouvre cette « tragedia lirica », réhabilitée aujourd'hui dans le cadre du Festival Radio-France Montpellier Languedoc-Roussillon.

Ecrite par un Donizetti malade, l'œuvre essuya des critiques acerbes lors de la création à Naples en janvier 1844 ; le compositeur modifie la partition, et la seconde version fut représentée à Parme en février 1845, avec un succès retentissant. Après quoi il est relégué à l'oubliette.

L'argument reprend l'histoire de la Reine de Chypre, avec l'ajout d'un personnage, pour rendre le livret plus « opératique ». Venise, 1468. Caterina Cornaro s'apprête à épouser Gerardo, mais Mocenigo surgit et la contraint, au nom du conseil des Dix de la République de Venise, de renoncer à ce mariage pour Lusignano, le roi de Chypre. Sinon, Gerardo sera tué. Elle l'accepte à contrecœur. Chypre, 1472. Mocenigo et Strozzi fomentent une insurrection en faveur de Venise. Gerardo, attaqué par les Vénitiens, est sauvé par un chevalier français qui n'est autre que le roi de Chypre. Il noue une amitié avec celui-ci, et découvre, quelque temps après, que la Reine Caterina a sacrifié son amour pour lui sauver la vie. Gerardo apporte son aide aux Chypriotes dans leurs combats contre les Vénitiens. Alors que Mocenigo menace Caterina de l'accuser publiquement de sa trahison contre le roi, mais le roi lui-même décide de défendre son épouse. S'en ensuit un combat où Lusignano est grièvement blessé. Il mourra en confiant le peuple à Caterina qui reprend son destin en main. Gerardo, voyant la Reine de Chypre assurer sa fidélité à ses sujets, lui fait ses adieux.

Le livret, avec des moyens d'économie très efficaces, fait avancer l'histoire sans s'attarder sur des détails inutiles. Malgré les souvenirs de la spectaculaire Reine de Chypre de Jacques Fromental Halévy (1841), Donizetti affirme son italianité avec de très belles envolées belcantistes, soulignant un caractère dramatique et moderne hors pair, que l'on retrouvera plus tard chez Verdi ou Puccini. L'œuvre est parsemée d'airs, de duos ou d'ensembles dont toutes sortes de qualités –mélodicité, puissance, harmonie entre les voix, cuivre éclatant pour des scènes belliqueuses et bien d'autres – constituent une entité irrésistible, ce qui fait de cet opéra un chef-d'œuvre incontestable. On se demande dès lors le pourquoi de cet oubli tant de la part du public que des spécialistes pendant si longtemps.

La soprano , magistrale, profonde, lance le ton à l'œuvre avec « Vieni o tu » dans le prologue, provoquant à la fois des rivalités et des complicités vocales entre les chanteurs, ce qui ne fait que ravir nos oreilles. Son rôle contient une ribambelle de beaux moments, émouvants et intenses : une tension psychologique dans des duos avec Gerardo, lors de leur séparation, dans le Prologue ; la transformation de l'amertume dans l'éloignement en tendresse dans les retrouvailles, dans échange entre les deux amants à l'acte I ; la résolution héroïque à la fin de l'acte II… A chacun de ces moments, la cantatrice montre une facette différente, toujours convaincante, à travers une voix souple, charnue et lumineuse, dotée d'une attirance surprenante.

, un ténor à la voix solaire, est à la fois puissant et délicat, entrant totalement dans le rôle, avec un sens dramatique naturel. Outre ses duos avec Piscielli, il explore pleinement sa capacité vocale dans le chant du départ à la guerre avec chœur, au début de l'acte II ; une grande envolée virtuose, renforcée par les cuivres retentissants, enchante la salle. L'air final, « Adieu, adieu », avec une reprise ornée, est une belle conclusion pour cet opéra fort en émotion.

Si , alias Lusignano, n'est pas encore complètement à l'aise dans sa première apparition au début de l'acte I (il chante très légèrement plus bas), malgré une belle émission, dans son dialogue avec Gerardo, plus tard dans le même acte, toutes ses qualités de grand chanteur se dévoilent, avec les subtilités pertinentes. Le quatuor (Luisignano, Mocenigo, Gerardo et Caterina) vers la fin de l'acte I est une merveille, chacun apportant sa couleur tant du personnage que de la voix, suivi de la scène de la mort de Lusignano, chargée d'émotion, tant profonde est son expression.

, en Mocenigo le comploteur, impressionne les auditeurs autant que Catarina et Gerardo. L'authenticité de ses propos musicaux compense largement le manque de brillance de ce rôle, rassurant et soutenant l'ensemble des scènes. Sa prestation, souveraine, mériterait un plus grand rôle dans des œuvres majeures.  tient remarquablement le rôle d'Andrea Cornaro, père de Caterina, notamment dans l'expression de sa déchirure intérieure, pour avoir été contraint de donner sa fille à un autre homme.

Tous les rôles secondaires sont tenus par des chanteurs de talent, en Strozzi, en chevalier du roi et notamment en Mathilde, dame d'honneur de Caterina. Le chœur, en réalité deux chœurs réunis qui se complètent avec bonheur, homogène mais variant ses couleurs et expressions (mixtes, femmes, hommes) donne une performance notable, apportant une épaisseur à l'œuvre.

Personne ne contestera le talent dramatique du chef , de même que sa capacité de gérer de façon extrêmement efficace l'ensemble des pupitres. Grand spécialiste des répertoires italiens d'opéras, il se révèle idéal pour cette production que nous avons hâte de redécouvrir avec une version scénique.

Crédit photographique : et  ; , , et © Luc Jennepin

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