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Changements de voix avec l’Ensemble Intercontemporain

Ce premier concert de la nouvelle saison de l' à la Cité de la Musique, et sous la direction de , amorçait une des thématiques de la programmation 2014-2015, à savoir la voix et ses divers traitements au sein de la création musicale.

Si Das Lied von der Erde (Le chant de la terre) de , écrit entre 1908 et 1909, n'est pas à proprement parlé le répertoire de l'ensemble, sa transcription pour orchestre de chambre en 2006 par le compositeur et chef américain met à sa portée un des grands chefs-d'oeuvre lyriques du post-romantisme allemand dans un rapport nouveau instauré entre les voix et la couleur orchestrale. Quant au Concerto pour Voice (moods IIIb) – il invitait sur scène la compositrice et performeuse Maja S.K.Ratkje pour une prestation live aussi risquée que pertinente.

Hors thématique, la création mondiale de , Iris, une partition pour alto et ensemble écrite sur mesure pour la soliste , était amorcée par quatre minutes de vidéo silencieuse – celle de Matic Maležič -, des images d'une oeuvre picturale en train de se faire qui étaient reliées aux premières mesures de l'oeuvre par un subtil fondu-enchaîné. Iris est le titre d'un conte de l'écrivain allemand Hermann Hesse et la source d'inspiration de la jeune compositrice, ancienne étudiante de . La pièce dans son ensemble suscite peu de commentaires, générant une matière sonore touffue et des textures assez denses que la couleur des percussions vient puissamment rehausser. Le fil narrateur est confié à la partie d'alto plutôt virtuose et superbement mise en valeur par le talent d' qui laisse s'échapper une bouffée de lyrisme presque sibélienne dans les dernières minutes de l'oeuvre où l'alto résonne dans l'extrême aigu de son registre.

Ni texte ni référence littéraire dans Concerto for voice (moods IIIb) de Maja S.K.Ratkje où la présence d'une machine à écrire fait figure d'objet sonore symbolique autant qu'anecdotique, prévenant que le message passe ici uniquement par le son. « L'oeuvre doit être découverte en live » précise la compositrice performeuse qui est sur le devant de la scène pour se mettre à l'écoute des instruments qu'elle a convoqués : contrebasson, saxophone, accordéon, célesta, et harpe sont autant de couleurs spécifiques, associées à l'ensemble, pour forger une matière dont elle recherche la plasticité. Devant le micro qui amplifie sa voix, elle improvise une partie vocale qui va rencontrer le son de l'orchestre et générer des morphologies sonores in situ. On est sidéré par la réactivité de la chanteuse dont l'action vocale insuffle au sein de l'ensemble une dramaturgie sonore captivante. Il y a une courte cadence dans ce concerto, laissant la voix nue s'éployer de façon inouïe, rappelant sa filiation avec le monde de l'électronique.

Dans la version « dégraissée » de , « Le Chant de la terre » de offrait en seconde partie de concert une autre expérience d'écoute. La transcription, belle dans son épure, est une véritable gageure pour les cordes (pupitres par 2 comme pour les vents!); et c'est à la faveur d'un engagement hors norme des instrumentistes comme du chef que l'ultime chef d'oeuvre vocal d'un compositeur miné par la maladie et les désillusions était restitué ce soir, dans ses couleurs et sa dimension expressive.

Si la partie vocale n'est en rien modifiée, elle n'en reste pas moins l'une des plus exigeantes du répertoire lyrique, réclamant, pour le ténor surtout, tension et puissance presque surhumaines, même dans la version pour orchestre de chambre. La vaillance héroïque du ténor australien suffit à peine pour le redoutable premier Lied, Das Trinklied vom Jammer der Erde. Plus à l'aise dans Von der Jugend et Der Trunkene im Frühling, il fait valoir un timbre lumineux et une diction très claire. La mezzo-soprano finlandaise est une grande chanteuse mahlérienne, à la voix longue, homogène et très flexible, superbement timbrée, qui manquait un peu de projection dans ses deux premiers Lied pour laisser s'épanouir la ligne de chant. Magistrale dans Abschied, l'adieu au monde si saisissant qui referme la partition, elle était relayée par les timbres solistes – les hautbois et cor anglais de Philippe Grauvogel et Didier Patau, la harpe de Frédérique Cambreling, les flûtes d'Emmanuelle Ophèle et Sophie Cherrier et le pupitre des violons, tous remarquables dans leur rôle conducteur – et contribuait, avec un orchestre superbement conduit par , à instaurer la couleur tragique que véhicule l'écriture de Mahler, dans une des plus belles pages du romantisme finissant.

 Photo : EIC/Luc Hossepied

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