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Anne-Catherine Gillet, une Manon de soleil

Brillante ouverture de saison à l'Opéra de Lausanne avec le trop rare « Manon » de . La soprano et le ténor forment un couple de rêve dans une intrigue au romantisme exacerbé.

Intelligemment mis en scène par sous l'austérité d'un décor sévère suggérant la réprobation populaire aux excès festifs d'un 18e siècle décadent, cette Manon devrait faire date au dehors même de l'enceinte de l'Opéra de Lausanne.

Quel bonheur d'entendre une voix aussi fruitée que celle d' (Manon). Une voix gorgée de soleil, avec le rouge et le jaune d'un fruit d'été, un fruit qu'on a envie de croquer à pleines dents. Avec cette prise de rôle, la soprano belge confirme au-delà du bien qu'on en avait dit lors de sa Blanche de la Force des « Dialogues des Carmélites » à Avignon en 2011 ou cette année de sa Leïla des « Pêcheurs de perles » à Angers. La maturité éclatante de sa voix d'aujourd'hui, la simplicité du discours vocal, l'impeccable diction, le français admirablement chanté, les aigus solaires, le registre médium ample et le vibrato court donnent à la Manon d' une authenticité de ton entre insouciance et passion en symbiose totale avec le personnage voulu par Massenet. Dès lors, comment ne pas tomber sous le charme de cette jeune fille?

C'est ce à quoi succombe le ténor américain (Le Chevalier des Grieux) dont la générosité vocale fait merveille. La présence électrisante d'Anne-Catherine Gillet et la musique de Massenet lui donne des ailes. Soignant la difficile diction de la langue française, il fait sien le texte et ses subtilités de langage. Un tel engagement conduit inexorablement vers des sommets artistiques, sommets que les deux protagonistes principaux rejoignent lorsque Manon détourne Des Grieux des ordres où il s'était réfugié pour oublier sa déconvenue amoureuse. Cette scène offre aux deux chanteurs de dépasser les limites de leurs sentiments. Seuls, sur une scène vidée de tous accessoires, dominés par l'environnement des silhouettes de noirs personnages peintes sur un mur gris entourant tout le plateau, leur duo « N'est-ce plus ma main que cette main presse… » est bouleversant. Il faut le talent de ces deux artistes pour que ce dépouillement scénique soit reçu avec une telle plénitude d'émotion.

Aussi magnifiques soient-ils, la réussite du spectacle ne repose bien évidemment pas uniquement sur ces deux chanteurs. S'ils potentialisent les autres protagonistes, ils se surpassent aussi. Dans cette grande famille aux enjeux divers entourant l'intrigue de Manon, la belle voix de baryton et l'aisance théâtrale de (Lescaut) occupent la scène avec brio. (De Brétigny) soigne son personnage et ses deux duos avec Manon sont intelligents de finesse. De son côté, Patrick Bolleire (Le Comte des Grieux) est impressionnant d'autorité vocale, alors que Thomas Morris (Guillot) campe avec talent ce personnage fat et ridicule.

Tout ce beau monde se meut avec dynamisme grâce à la direction d'acteurs empreinte de beaucoup de simplicité et la mise en scène d' dont on avait déjà aimé le Falstaff de 2012 à Lausanne. Pour favoriser la fluidité du discours scénique des protagonistes, propose au Chœur de l'Opéra de Lausanne (d'ailleurs excellent) plusieurs saisissants « arrêts sur image » du plus bel effet (on dirait des peintures de Watteau). Un claquement de main rompt leur silence pour reprendre le chant un instant délaissé. En outre, un dispositif de panneaux coulissants d'un bord à l'autre de la scène permet un découpage subtil de scènes qui, sans eux, auraient du être interrompues par un baisser de rideau. Ainsi,  par exemple, un panneau coupant la scène en trois espaces permets au duo De Brétigny et de Manon d'être mieux audible alors que dans le même temps se déroule de l'autre côté du plateau celui de Lescaut et de Des Grieux.

Dans la fosse, la baguette de fait merveille devant un enthousiaste qui retrouve son chef titulaire de 1990 à 1998. En définitive, un spectacle en tous points réussi grâce à la potentialisation de tous les éléments constitutifs de cette entreprise.Un grand bravo à l'Opéra de Lausanne pour avoir si bien choisi les protagonistes de ce spectacle pour en faire un écrin de bonheur que les spectateurs ont ovationné.

 Crédit photographique : Anne-Catherine Gillet (Manon) © Marc Vanappelghem

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