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A Berne, Salomé dans la boue

Malgré des décors et des costumes laids et inadéquats, l'engagement musical et théâtral des protagonistes sauve la Salomé bernoise de l'ennui.

Musicalement et dramatiquement l'épilogue de Salomé crée inévitablement une gêne extrême. Salomé, parce qu'elle n'a pu assouvir son désir d'embrasser Jochanaan, a convaincu son père Hérode de lui offrir la tête du prophète. Dans la scène finale où la musique de est à son paroxysme, Salomé, démente, tient dans ses bras la tête décapitée de Jochanaan en hurlant sa joie d'avoir pu l'embrasser sur les lèvres. Dans un ultime élan de lucidité devant l'horreur, Hérode ordonne qu'on tue sa fille. Avant même que la sentence ne soit exécutée, la scène plonge dans l'obscurité totale. Tout est dit. Le silence se fait oppressant. Puis, comme pour rompre l'anxiété ambiante, petit à petit, timidement, les applaudissements du public se font entendre.

Dans cette production de Salomé, malgré une bonne direction d'acteurs, le metteur en scène laisse à la musique le soin de porter l'issue dramatique de cet opéra. Comme souvent, en transposant l'intrigue dans le milieu d'une famille bourgeoise occidentale, ce choix scénique n'apporte rien au drame straussien. Tout au plus permet-il de se contenter de la laideur d'un décor (Ric Schachtebeck) sans relief et de costumes (Katrin Wittig) quelconques. Pire, il le rend plus invraisemblable que celui qui originellement doit se passer au début de l'ère chrétienne. Comment imaginer qu'aujourd'hui un individu puisse être décapité pour le seul désir malsain d'une fille aussi belle et talentueuse danseuse soit-elle ?

Enfermé dans une cage de verre descendant du plafond de l'appartement familial, Jochanaan (, belle voix quoique manquant peut-être d'un peu d'étoffe pour le rôle), diffamateur d'Hérode semble n'avoir pour seul passe-temps que de s'enduire la face avec de la boue. Peut-être est-ce pour se rendre indésirable à Salomé ? La construction scénique du drame peine à prendre corps. La tension théâtrale s'enflamme enfin lorsque qu'Hérode (magnifique personnification tant vocale que théâtrale du ténor américain dont la voix claire et l'engagement scénique en fait le personnage idéal du rôle) ne contient plus son désir maladif de voir Salomé danser pour lui. Dans une scène poignante, le ténor américain empoigne son personnage en lui imprimant une obscénité perverse qu'il ne peut contenir et qui suinte à travers le tremblement nerveux de ses mains.

Alors, avec Hérodiade (superbe et brillante dans son probable meilleur rôle) en allumeuse, dont la détestation de son mari et la jalousie de Salomé transpirent admirablement, la mezzo bernoise offre à son personnage une voix à la ligne mélodique admirable comme jamais elle ne nous avait donné l'occasion d'entendre.

Après un début un peu timide, la soprano (Salomé) prend la mesure de son rôle pour porter la scène finale dans une débauche de puissance vocale impressionnante. Jouant parfaitement la folie, allant jusqu'à se reverser une pleine coupe d'eau boueuse sur le visage, elle est vocalement glaçante de vérité. Peut-être aurait-elle modulé sa voix avec plus de nuances qu'elle aurait gagné dans le lyrisme du personnage. Par exemple, lorsqu'elle déclare sa passion à Jochanaan !

A noter, le Narraboth lumineux de .

La performance de la plupart de ces chanteurs s'avère d'autant plus remarquable qu'il semble qu'il s'agisse pour chacun d'entre eux d'une prise de rôle. Quand on sait la complexité de cette partition, on peut excuser les fréquents regards qu'ils ont vers la fosse d'orchestre.

Et la fameuse danse des sept voiles ? On imagine bien qu'avec le tailleur et le pantacourt que porte Salomé, la danse des sept voiles se bornerait à une autre image que celle qu'elle laisse souvent voir dans cet opéra. Alors, on décroche un voile du fond de scène sous lequel Salomé, entourée de sept personnages se lovera dans quelques pas lascifs, pour terminer sa danse toujours vêtue alors que les hommes, épris de désirs se retrouvent dans leur plus simple appareil (ou presque). Du déjà vu dans les mises en scène de Sean Curan à Montréal pour le voile et de Robert Carsen à Turin pour les hommes dénudés.

A la direction, le chef fait merveille. Tenant le dans la rigueur de la partition, il l'emporte dans les délires sonores de avec précision sans jamais laisser les accents lyriques tomber dans le pathos.

Crédit photographique © Annette Boutellier

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