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Répons de Pierre Boulez dans l’espace de la Philharmonie

Avec Répons de , la Philharmonie était bondée pour la deuxième soirée événement du Festival Manifeste de l'Ircam (après la création de Tour à Tour de Philippe Hurel), qui s'associait aux forces de l'.

Après l'ouverture du festival par le Requiem pour un jeune poètede Berndt-Alois Zimmermann, Répons de , œuvre non moins visionnaire (1981-85) intégrant l'électronique à l'orchestre et pensée pour les salles de concert d'aujourd'hui, investissait l'espace conçu par Jean Nouvel pour mettre à l'œuvre la diversité et la multiplicité de ses sources sonores.

Les deux œuvres en complément de programme, certes plus conventionnelles dans le dispositif d'écoute – Assonance VII pour percussion de et Mouvement (- vor der Erstarrung) d' – rejoignaient cette conception nouvelle du son, « moins hiérarchisé et moins philharmonique » selon les termes de Philippe Manoury, un compositeur très impliqué dans la recherche de l'adéquation du son et des nouveaux espaces, qui consacre dans son blog un article passionnant à ce sujet.

Difficile d'ailleurs à Victor Hannah, devant son pupitre luxuriant de percussions, d'imposer, au tout début du concert, le silence requis pour l'écoute d'Assonance VII. L'œuvre, aussi poétique qu'intimiste, engendre un jeu sur les trajectoires sonores, entre percussions résonantes et matité des bois, restitué avec une souplesse du geste et un raffinement sonore inouïs par notre jeune soliste.

Mouvement ( – avant l'engourdissement) d' est une œuvre contemporaine de Répons, sans doute le chef-d'œuvre pour ensemble instrumental du compositeur allemand. Bien avant Manoury, , dans la lignée de son maître Luigi Nono, adopte une position critique face au « son philharmonique » de la tradition bourgeoise, et travaille à une redéfinition du matériau musical en invitant l'auditeur à de nouvelles stratégies d'écoute. L'univers sonore bruité du compositeur, intégrant les souffles, frottements, grincements, chocs percussifs, provient d'un détournement systématique du jeu traditionnel des instruments, excluant ici le pupitre des violons. L', rompu à cette nouvelle virtuosité, confère à l'écriture lachenmanienne – qui sonne ce soir avec une définition idéale – son sens et sa cohérence au sein de processus complexes jouant sur « la fracture structurelle » des sons. Insolite et rassurant est ce jeu de sonneries – à l'échantillonneur – qui traverse l'espace de résonance au début de l'œuvre, ou encore la présence, certes très diffuse, de la vieille rengaine O du lieber Augustin que nous chantait en avant-concert lors de sa lumineuse présentation des pièces du concert.

Emblématique du catalogue boulézien, Répons, créé à Donaueschingen en 1981 et révisé jusqu'en 1985, synthétise les recherches antérieures du compositeur, sur la présence de l'électronique au sein de la composition instrumentale d'une part, sur la conception spatiale du dispositif et des haut-parleurs d'autre part : si la scène centrale de la Philharmonie concentrait l'ensemble des 24 musiciens – cordes, bois et cuivres en trois groupes dirigés par -, la configuration de la salle ne permettait pas aux six solistes (2 pianos, 2 percussions-clavier, harpe et cymbalum) d'encadrer véritablement le public. Ils ne pouvaient que dessiner au mieux un cercle autour de l'ensemble instrumental, harpe et cymbalum étant placés quant à eux à l'étage. Autant de disparités d'écoute pour les auditeurs selon leur emplacement et un handicap certain pour nos oreilles situées juste devant le piano de !

Après l'introduction instrumentale énergique, instaurant la tension et la concentration du propos à venir – soutenue de main de maître par – l'éclairage subit des six solistes et la démultiplication des sons dans l'espace sous l'effet de la transformation en temps réel sont un premier coup de théâtre saisissant, tant pour les yeux que les oreilles. Étincelante également, la cinquième section, dite « Scriabine », avec ses trajectoires fulgurantes des pianos dans l'aigu ; impressionnants enfin ces instants de grande saturation de l'espace, où solistes et tutti se confrontent dans une effervescence jubilatoire. Épure sonore, la coda confine au sublime, où l'écoute est suspendue au devenir des sonorités solistes vrillées et dupliquées par les effets de l'électronique.

L'expérience d'une deuxième écoute dans la même soirée – comme celle que va proposer l'EIC à Amsterdam – engageant le public à se déplacer d'une exécution à l'autre, nous aurait comblés!

Crédit photographique :  © Jean Radel

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