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Accueil triomphal pour Armide de Lully à Nancy

La partie n'était pourtant pas gagnée d'avance. Après plus de trois heures de texte classique déclamé en musique et entrecoupé d'intermèdes dansés, c'est pourtant une salle unanimement enthousiaste qui a fait un réel triomphe à l'ensemble des participants à cette Armide nancéienne.

Bien sûr, Armide est un chef d'œuvre. Dernier opéra terminé par Lully et dernière coopération avec Quinault, son librettiste de presque toujours (hormis les deux infidélités de Psyché et Bellérophon), il constitue une sorte d'apogée ou de bouquet final. Mais sa représentation scénique demeure problématique car le public actuel a perdu les codes de la tragédie en musique du XVIIème siècle. En dehors de quelques érudits, qui connaît encore dans le détail les aventures mythologiques ou les textes originaux de l'Arioste ou, pour Armide, du Tasse dont sont tirés les livrets ? La langue somptueuse de Quinault ne sonne-t-elle pas désuète voire sibylline à bien des oreilles ? Et que faire, dans notre monde pressé, des divines longueurs des divertissements qui suspendent l'action pour faire place aux danseurs et au chœur ?

Après avoir emmené l'Italienne à Alger dans la jungle et transformé Iolanta en odyssée de l'espace, le metteur en scène résout la question de la temporalité d'une manière originale et astucieuse. Ni siècle de Louis XIV, ni époque actuelle mais les deux à la fois ou, plus précisément, deux trajectoires opposées. D'un côté, Armide va tenter de s'émanciper de son statut de magicienne et d'être aimée pour elle-même en abandonnant progressivement ses attributs baroques (splendides costumes emplumés de Patrick Dutertre) et en se modernisant. De l'autre, le corps de ballet contemporain et en tenues actuelles commence à répéter en vue de représentations d'Armide et va peu à peu se «baroquiser». Renaud suivra Armide dans son cheminement tant qu'il sera sous son emprise puis s'en libèrera en revenant à ses habits chevaleresques au dernier acte. Le décor à transformation de Jo Schramm traduit lui aussi cette dualité, alternativement perspective architecturale classique ou salle moderne de répétition.

Le Prologue allégorique est entièrement occupé par une vidéo un peu trop distendue, également de Jo Schramm, qui interpénètre à son tour les époques en suivant un Stanislas Leszczynski /Louis XIV descendu de son piédestal, de la Place Stanislas actuelle jusqu'à la salle de l'Opéra en passant par les coulisses où il croise quelques gueux d'époque fort peu sympathiques. Plus convaincant, l'usage de la vidéo au quatrième acte donne de la réalité aux sortilèges et apparitions magiques provoqués par Armide. Les chorégraphies complexes et atemporelles de Petter Jacobsson et Thomas Caley, superbement réalisées par le Ballet national de Lorraine, jouent pleinement leur rôle de divertissement et d'enrichissement. Enfin, les éclairages très étudiés de Fabrice Kebour font évoluer l'appareil scénographique (par exemple, au second acte, en révélant dans la masse sculptée du décor des figures démoniaques chevauchant des dragons) et contribuent également à la réussite de cette mise en scène plastiquement superbe.

est une Armide de format vocal imposant, alternant parfois abruptement forte tonitruants et pianissimos délicats, tandis que le mezzo forte fait cruellement défaut. On peut y imaginer moins de véhémence et plus d'égalité et de subtilité dans l'expression. Mais l'intensité dramatique et l'éloquence séduisent et emportent l'adhésion, tout particulièrement dans une scène finale de grande tragédienne. Au travers de leurs diverses incarnations, et s'apparient admirablement et sont également délectables. offre à Renaud toute la suavité et l'homogénéité d'une voix de haute-contre à l'émission haut placée et d'une parfaite égalité et en traduit avec crédibilité l'immaturité et les tourments. Andrew Schroeder passe totalement à côté du rôle d'Hidraot, bien trop grave pour lui et où il sonne étouffé. A l'inverse, donne un relief extraordinaire à Aronte et surtout à la Haine, vénéneuse et sardonique à souhait. Pour le reste, plus que l'Ubalde un peu à la peine, plus que l'Artémidore ou le Chevalier danois moins décisifs, on retiendra la voix cristalline de Hasnaa Bennani en Nymphe des eaux.

Absolu maître d'œuvre du spectacle, est aussi le principal responsable de son succès. Concentré, précis, énergique sans violence, il assure tout autant vivacité (sans précipitation) que retenue (sans alanguissement), comme pour la scène du sommeil au deuxième acte aux alliages de timbre fascinants et magiques. Il faut joindre à cette réussite l'orchestre, Les Talens lyriques, exceptionnel de qualité et d'investissement, confondant de netteté aux cordes, de variété dans la basse continue, de couleurs et de poésie aux bois. Enfin, ultime satisfaction et fruit d'un intense travail en amont, avec seulement quelques éléments extérieurs rajoutés, le Chœur de l'Opéra national de Lorraine parvient à sonner comme un authentique choeur baroque. Grâce à tous, en ce jour de Fête de la Musique, la Musique était réellement à la fête à Nancy.

Crédit photographique : © Opéra national de Lorraine

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