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Bayreuth s’offre un Vaisseau fantôme anticapitaliste et radical

À la lumière d'une mise en scène très scolaire de , ce Vaisseau fantôme conclut l'édition 2015 du festival de Bayreuth. L'approche d' ne cherche pas à révolutionner la lecture d'un ouvrage dont le romantisme naïf est à chercher dans l'énergie déployée par le plateau.

Très codifié et pourtant très accessible, le travail de autour du Fliegende Holländer entame sa troisième saison à Bayreuth. La proximité avec le Ring de donne à ce spectacle des allures de parcours fléché selon un mode très sémaphoriquement correct. Le décorateur a imaginé de remplacer toutes les allusions à l'univers marin  par deux immenses parois mobiles le long desquelles circulent des flux d'énergies et des compteurs qui s'affolent. Prisonniers de ce pandémonium métaphorique, Daland et son pilote errent sur le noir océan des naufrages économiques. Une symbolique limpide oppose un monde fait de cotations et de spéculations financières et morales, à l'univers du Hollandais – qu'on imagine épris de liberté et de grands idéaux.

D'approche assez simple, la proposition de Gloger place sur le mode d'un manichéisme naïf, les enjeux retracés par le livret de Wagner. L'idée générale consiste à renverser les valeurs en faisant du proscrit éternel, l'extra-lucide observant les dérives de la société contemporaine. On sourit néanmoins en voyant débarquer dans ce grand hall nocturne ce Hollandais dépressif tirant sa valise avec son café à emporter. Lui et ses troupes infernales, arborent sur le crâne d'énigmatiques stigmates noirs – illustrations des tourments et des crises du style « tempête sous un crâne (?) »… Les vrais damnés ne sont pas ceux qu'on croit. On les trouvera du côté de Daland – avide d'or et capable de vendre sa fille pour de l'or -, des marins de Daland, transformés pour l'occasion en businessmen affairés, arborant costumes trois pièces et sourires ripolinés. Contrastant avec cet univers de superficialité et de consommation, les fileuses occupent le bas de l'échelle sociale. On les retrouve en ouvrières chargées de l'emballage de ventilateurs dans des cartons pour le compte de la société de Daland… Seule Senta, la fille rebelle, refuse de se plier à ce travail à la chaîne et sculpte une étrange représentation de son Hollandais fantasmatique, quelque part entre art primitif et idole de Baselitz.

Le pâle Erik ne fait guère le poids avec sa dégaine de magasinier et d'homme à tout faire. Gloger accentue son côté rugueux et peu porté aux réflexions immatérielles. Lorsque Senta se change en victoire néo-romantique avec l'équivalent en carton d'un flambeau et d'une paire d'ailes, elle couronne le Hollandais de la palme de l'éternité. La représentation du couple enlacé au sommet d'une pyramide de cartons fait aussitôt germer dans l'esprit du pilote-chef de projet l'idée de remplacer les ventilateurs par des figurines en plastique des amoureux : le marketing vainqueur de l'amour éternel…

La platitude du concept est en partie compensée par un plateau dominé par le fidèle en Daland. Le timbre au cynisme émacié fait toujours merveille pour camper un personnage à la fois veule et cupide. A ses côtés, le Pilote de affiche un rayonnement et une projection exceptionnels. Christa Mayer n'a que peu d'espace pour imposer une Mary au format somme toute correct, à défaut d'être mémorable. Prestation correcte également pour en Erik, même si la cavatine le contraint à quelques raideurs dans les changements de registre. démontre pour sa dernière saison des qualités d'engagement et de ligne qui font de son Hollandais une figure crédible, malgré un timbre clairet et quelques signes de fatigue dans son monologue. est une Senta solide et quasi minérale, sacrifiant sur l'autel de l'expressivité plusieurs aigus assez contondants et une tendance à chanter sur une ligne globalement très dure et peu modulée.

Dans l'ouverture, joue la carte d'une battue à l'énergie motorique et dévorante. La tension retombe assez vite et souvent le souci de mise en place prime sur l'intention de faire déborder les sentiments au-delà des strictes limites de la partition. Ces options permettent cependant aux chœurs de se hisser aux plus hauts sommets, ce qui n'est évidemment pas pour nous déplaire.

Crédits photographique : © Enrico Nawrath

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