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Der Kaiser von Atlantis ou le triomphe de l’Art sur la barbarie

C'est l'histoire terrible du XXe siècle qui s'invite au Théâtre Graslin avec Der Kaiser von Atlantis justement présenté par Jean-Paul Davois comme « une farce macabre jetée au visage du nazisme ».

Il est presque miraculeux que la partition de cet opéra en un acte du compositeur et pianiste tchèque – écrit et mis en répétition en 1943 au camp de concentration de Terezin, l'antichambre d'Auschwitz, avant d'y être interdit – ait survécu à la disparition de son auteur, victime l'année suivante de la haine aveugle du IIIe Reich. Des mains amies sauvèrent le manuscrit et l'ouvrage fut finalement créé en 1975 à Amsterdam puis révélé à un plus large public en 1994 par l'enregistrement réalisé par Decca dans le cadre de sa formidable collection Entartete Musik. Il arrive à Nantes sous la forme d'une production de l'ARCAL créée en janvier 2014 à Nanterre.

Il ne faudrait pas toutefois réduire cet opéra à un simple témoignage historique. Ce serait faire peu de cas de l'ironie aussi mordante que désespérée qui irrigue le livret comme la partition, du talent d'instrumentation de Ullmann qui tire une importante variété d'effets d'une formation réduite à treize instrumentistes, et plus généralement de la force d'un ouvrage qui vous assène d'entrée un direct au foie et ne vous lâche plus. Au fil des quatre actes nous entendons une conversation philosophique entre la mort et le rire, nous sommes témoins de la folie d'un tyran sanguinaire qui ne communique plus avec le monde que par un haut-parleur et pense gouverner la mort puis d'une improbable rencontre amoureuse sur un champ de bataille, avant que l'ouvrage se termine par un choral apaisant avec cette conclusion : tu n'invoqueras pas en vain le nom de la Mort.

La partie musicale, qui évoque parfois la musique de cabaret, est épicée de discrets motifs hébraïques ainsi que de quelques accents jazzistiques qui font penser au Kurt Weill de Mahagonny. lui rend éminemment justice et signe une lecture où s'équilibrent la brutalité et la poésie d'une partition étonnamment subtile, avec le concours des instrumentistes exemplaires de son ensemble Ars Nova. Les solistes sont eux aussi irréprochables, notre seule réserve concernant qui dispose d'un instrument très séduisant mais ne possède pas l'incisive dans la diction des autres protagonistes.

est en revanche exemplaire en tambour, avec un timbre corsé et une parfaire maîtrise de la tessiture. s'acquitte avec autant d'aisance des éclats expressionnistes d'Arlequin que des élans de tendresse du soldat. Les graves profonds de font merveille dans les deux rôles de la Mort et du Haut-Parleur et le hissent au niveau de , Empereur vindicatif et tourmenté qui trouvera une inattendue sérénité dans la mort. Le rôle est chanté avec sobriété et une belle concentration de timbre et le monologue final détaillé avec une grande sensibilité.

La production de (lire notre entretien) s'inscrit dans une cadre austère : une plate-forme centrale qui sert de tribune au Tambour et de support au Haut-Parleur avec trois parachutes offrant de beaux effets de drapés, des costumes intemporels et des lumières à cru. Elle sait cependant, avec autant d'intelligence que de sobriété, mettre en valeur toutes les composantes de l'ouvrage : l'ironie, la poésie, la folie, la violence… tout ce qui fait de l'oeuvre de Ullmann, en dépit de son format réduit et au-delà des circonstances de sa création, un ouvrage majeur et abouti qui démontre que l'Art triomphe toujours et en tous lieux de la barbarie.

Crédit photographique :  (Empereur Overall) © Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra

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