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Le Château de Barbe-Bleue et La Voix Humaine réunis à Garnier

La collaboration est prometteuse, qui réunit sur la scène de l'Opéra Garnier le chef finlandais et le metteur en scène polonais , au sein d'une production couplant des oeuvres aux univers apparemment si éloignés tels que Le château de Barbe-Bleue de et La Voix humaine de .

conçoit une soirée d'un seul tenant où s'enchaînent avec une vraie fluidité le long monologue de Poulenc et le dialogue incandescent de Judith et du « duc à la barbe-bleue ». Pour le metteur en scène, les deux opéras relèvent d'un même inconscient féminin où chacune des héroïnes est à la fois la victime et son propre bourreau. Dans le livret de Béla Balázs, qui revisite le conte de Perrault, Barbe-Bleue n'est pas l'assassin de ses femmes. Malgré la mise en garde du duc, Judith, comme envoûtée par ce château « qui saigne », demande instamment à son époux de lui donner la clé de la septième porte. Elle découvre alors que les trois premières femmes de Barbe-Bleue sont bien vivantes. Epouse des ténèbres à son tour, elle se laisse revêtir d'un lourd manteau et coiffer d'une couronne avant d'aller les rejoindre, sacrifiant sa vie pour celui qu'elle aime. Chez Cocteau, « Elle », la femme sans nom du livret, sait qu'elle téléphone pour la dernière fois à son amant avant de mettre fin à ses jours. Dans la mise en scène de Warlikowski, lorsque arrive sur le plateau, vacillante sur ses talons aiguilles, elle a un pistolet dans la main et vient de tirer sur son amant…

Si Warlikowski sait nous surprendre par les ressources de la vidéo et des lumières, sa mise en scène du Château de Barbe-Bleue reste assez conventionnelle, chaque ouverture de porte donnant à voir une nouvelle vitrine et son décor commenté par les deux personnages: une vision des choses qui recentre tout l'intérêt sur l'intensité du dialogue, la beauté de la langue hongroise que Bartok fait chanter pour la première fois et la somptuosité des couleurs de l'orchestre, entendues dans une rare plénitude sous la baguette d'Esa-Peka Salonen. Dans sa robe verte très aguichante, , impériale, est une Judith entreprenante, voire agressive, face à un Barbe-Bleue très sombre, plus inquiet et presque désabusé: « prends garde à nous », prévient-il sans cesse. La basse du canadien , se coulant dans le « parlando rubato » de Bartok, nous impressionne moins que la voix chaleureuse, homogène et puissamment timbrée de la mezzo-soprano russe.

C'est dans un fondu enchaîné très astucieux, et toujours grâce à la vidéo, que retentit le premier coup de téléphone de La Voix humaine. Star de la scène lyrique et performeuse hors norme, joue une femme hystérique, désespérée et hors d'elle, qui vient de tirer sur son amant. Avec le ressort de la captation vidéo live – celle, fascinante, de Denis Guéguin – l'héroïne est vue en gros plan, rampant sur le carrelage de sa salle de bains dans le début du monologue. Pas de téléphone en main chez Warlikowski mais l'arrivée différée de l'amant – Lui, rôle muet – avec sa tâche rouge sur la chemise, rappelant que l'appartement de cette femme, comme le château de Barbe-Bleue, saigne.

La voix sensuelle de la chanteuse canadienne, d'une douceur de miel, semble au départ se perdre dans un espace trop grand pour elle, face à l'orchestre plutôt musclé de Poulenc. Mais cette immense artiste va peu à peu magnétiser les regards et l'écoute, à la faveur de l'expressivité de son jeu et de sa voix, agile et flexible. On note autant de qualités dans le geste fluide et souple d' qui trouve le juste équilibre pour laisser la voix habiter l'espace tout en la soutenant énergiquement.

C'est un prestidigitateur – alias – soulevant de terre son assistante – – qui fait le lever de rideau. C'est sur cette hauteur et avec la même virtuosité du geste que Warlikowski et Salonen poursuivent la soirée, avec un casting de choix et les forces d'un Orchestre de l'Opéra national de Paris éblouissant.

Crédits photoghraphiques : Le Château de Barbe Bleue ; La Voix humaine © Bernd Uhlig

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