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Splendeur orchestrale de Castor et Pollux par Pygmalion

La renaissance de la musique de Rameau fut une longue gestation et il fallut pas moins d'une quarantaine d'années avec le travail colossal des défricheurs que furent Nikolaus Harnoncourt et Jean-Claude Malgoire, suivis par les Gardiner, Christie et Minkowski, pour qu'elle triomphe enfin au deux cent cinquantième anniversaire de sa disparition, sous la direction aussi enthousiaste qu'inspirée d'un jeune chef de la troisième génération baroqueuse.

n'en est pas à ses débuts avec Rameau qu'il affectionne particulièrement et sert avec une énergique maestria. Avec son bien nommé, il a triomphé à Beaune dans Hippolyte et Aricie, puis dans Dardanus qu'ils ont enregistré en 2013 (Alpha 964), puis ont tourné ce Castor et Pollux à Dijon, Beaune, Bordeaux, Versailles, avant de l'enregistrer au festival de Radio France-Montpellier.

Si les premiers opéras de Rameau avaient profondément ébranlé le public par leur nouveauté, ce troisième ouvrage reçut un accueil mitigé à sa création à l'Académie royale de musique en octobre 1737. Rameau ne le remit sur le métier que dix-sept ans plus tard, cédant aux insistances de Rebel et Francœur, les directeurs de l'Académie royale de musique, en 1753. C'est que la querelle des bouffons faisait rage et Rameau et ses amis voyaient dans la résurgence de Castor et Pollux un moyen d'affirmer la prééminence, la force et la grandeur du style français, face aux défenseurs de l'opera buffa italien soutenus par . Ce dernier n'en était pas à une ineptie musicale près, affirmant rien moins : « que la langue française ne se prête en rien au traitement musical ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue ; que l'harmonie en est brute, sans expression et sentant uniquement son remplissage d'écolier… ». Pauvre Jean-Jacques, ses assertions furent pulvérisées par la puissance dramatique de ce nouveau Castor et Pollux.

Une version resserrée

Rameau avait substantiellement modifié l'ouvrage en supprimant le Prologue, qui n'était plus de mise en 1754, contractant l'action, proposant un premier acte entièrement nouveau et opérant une réécriture orchestrale plus éclatante. Le succès fut au rendez-vous, malgré un livret original en marge des canons baroques et des sempiternelles rivalités amoureuses. S'ils aiment tous deux Télaïre, c'est l'amour fraternel qui domine par le sacrifice consenti par Pollux pour sortir son frère du séjour des morts. Une telle constance dans l'abnégation émeut Jupiter, qui accorde l'immortalité aux deux frères. Cette intrigue morale s'approche des valeurs prônées par les Lumières et préfigure quelque peu la réforme lyrique de Gluck. La modernité de l'orchestration de Rameau dans cette seconde version renvoie pour longtemps le promeneur solitaire à ses idioties musicales.

Et pour étayer la démonstration, s'appuie sur un manuscrit de 1753 tout récemment retrouvé, qui comprend nombre d'éléments inédits et précise nombre d'incertitudes au niveau de l'orchestration.

Si d'aucuns peuvent trouver les solistes un peu en retrait, cela vient de la direction extrêmement nuancée et mesurée de , qui tient par dessus tout à l'élégance ramiste. Même dans l'emballement des situations, l'emphase n'a pas sa place et la mesure reste de mise dans une justesse des sentiments.

Cela n'enlève rien à l'enthousiasme de la jeune distribution, d'une belle homogénéité avec la Télaïre bouleversante d'Emmanuelle Negri, la somptueuse Phébé de ou virtuose dans les apparitions multiples de Cléone, une ombre heureuse ou une suivante d'Hébé. Même constat chez les hommes avec le noble Castor de , l'énergique Pollux de , l'expérimenté Jupiter de , sans oublier la clarté de en grand prêtre du roi des dieux.

À chacun d'exprimer sa préférence pour la version originale de 1737 ou la révision de 1754. L'une et l'autre servent avec éclat la supériorité de Rameau.

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