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Caurier et Leiser dépoussièrent Don Giovanni

En 2008, sur cette même scène, et avaient tenté de mettre à nu Tosca en la dépouillant des repères imposés par la tradition. Leur réalisation nous avait alors inspiré des impressions contrastées. Guidée par la même ambition, cette mise en scène de Don Giovanni nous apparaît bien plus aboutie.

Le mythe est transposé de nos jours avec pour décor l'entrée d'un hall d'immeuble avec son digicode, son ascenseur et la fenêtre du premier où Elvira vient fumer sa cigarette. Après Mi tradi chanté rideau fermé, c'est un cimetière en forme de playground qui sert de cadre au final. Dans cet univers, le catalogue des conquêtes se consulte sur smartphone et le Commandeur meurt le crâne fracassé contre un mur. Don Giovanni n'est plus un aristocrate dévoyé mais un naufragé qui s'autodétruit dans la drogue et l'alcool et pour lequel la séduction n'est plus qu'un accélérateur dans sa course vers l'abîme. Grâce à une direction d'acteurs pertinente et précise, la mécanique fonctionne, à l'exception de quelques petits détails incongrus, mais l'on soupçonne les metteurs en scène d'avoir sciemment provoqué par instants le décalage entre le texte et l'image pour stimuler notre attention.

La distribution est dominée par , repéré ici même la saison passée dans le trop bref rôle de Fritz et probablement promis à une belle carrière. D'une aisance scénique confondante, il incarne ce Don Giovanni détaché et pourtant torturé. L'un des sommets de la matinée est la sérénade étonnamment intériorisée, presque douloureuse, qu'il interprète prostré, presque à regret. La partition ne lui pose aucune difficulté mais il ne recherche jamais l'effet et il nous fait parfaitement entrer dans le délire de son personnage dans un final d'une grande efficacité. Intervention du surnaturel ou hallucination d'un toxicomane, la réponse n'est pas évidente quand apparaît le Commandeur sonore et joliment timbré dans le grave d'. joue fort bien le rôle de l'auguste sans les excès qui rendaient son Papageno trivial ; la relative monochromie du timbre ôte cependant de l'impact à l'air du catalogue. Pas de réserves en revanche en ce qui concerne l'excellent et élégant Don Ottavio de qui conjugue suavité et flamme dans ses deux airs et déclenche à juste titre avec un Il mio tesoro d'école la première salve d'applaudissements d'un public jusque là étonnamment réservé.

s'engage sans réserve dans une Donna Anna très vindicative mais en paie le prix avec des tensions perceptibles dans le haut de la tessiture au premier acte. En revanche, l'interprète est touchante et son instrument frais et moiré fait merveille dans Non mi dir abordé avec une émouvante délicatesse. Nous comprenons rapidement pourquoi chante Elvira sur les plus grandes scènes européennes, tant elle manifeste une parfaite adéquation stylistique et une grande subtilité d'interprétation. Personnellement, nous n'avons jamais été émus à ce point dans le récitatif In quali eccessi interprété à vous arracher des larmes, prélude à un Mi Tradi de très grande classe. Nous succombons et oublions alors une Zerlina au timbre pointu et un Masetto assez fade vocalement.

Que dire enfin de la direction d'orchestre de  ? Ce chef, remarquable dans le répertoire du 20e siècle, nous convainc moins de ses affinités mozartiennes. L'ouverture sonne quelque peu épaisse et dépourvue de contrastes en dépit de la vivacité des tempi, mais le maestro mène la représentation avec un grand professionnalisme et bénéficie de la qualité d'un orchestre dont la qualité n'est plus à démontrer.

Crédits photographiques : (Zerlina) (Masetto) (Don Giovanni) & (Leporello) © Jef Rabillon pour Angers Nantes Opéra

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