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Alcina et Tamerlano à la Monnaie, Haendel à son sommet

Fabuleux diptyque haendélien dans un album à marquer d'une pierre balance. Pour une fois, autant la mise en scène que l'interprétation musicale rallient tous les suffrages.

C'est le dépouillement, sinon le minimalisme, qui pourrait caractériser ces mises en scène de deux des plus beaux opéras de Haendel. Une chaise comme unique accessoire pour les deux ouvrages, une double colonnade pour Tamerlano, remplacée par de simples lattes de bois dès lors que la vérité éclate au grand jour, une double rangée d'arbres peints pour Alcina, tout cela évoque l'authenticité de la scénographie de l'opéra baroque, tout en se montrant diablement efficace en termes de théâtralité. Car si les artisans de ces deux sublimes spectacles cherchent de toute évidence à rendre hommage aux conditions de restitution du XVIIIe siècle, évoquées avec autant de poésie que d'intelligence, ils savent également détourner les conventions de l'opera seria quand il s'agit d'approfondir la psychologie des personnages. Ainsi, ces va-et-vient des différents personnages qui accompagnent la plupart des arias, traditionnellement interprétés lorsque le chanteur est seul en scène, et dont la simple présence semble à elle seule suggérer et souligner les non-dits du texte. La direction d'acteurs de , criante de vérité, la beauté et la simplicité des costumes, la sobriété des éclairages, visiblement destinés à recréer l'esprit de la représentation d'époque, font de chacun de ces deux longs huit-clos de plus de trois heures, enlevés par des chanteurs-acteurs en état de grâce, un moment de pur bonheur. La captation vidéo, particulièrement soignée dans les deux cas, apporte encore profondeur et intériorité à un spectacle dont la subtilité, dans la grande salle de la Monnaie, devait certainement échapper aux spectateurs les plus éloignés de la scène.

Sur le plan de l'interprétation vocale et musicale, on soulignera l'homogénéité des deux plateaux tout en relevant un certain nombre de prestations d'anthologie, à commencer par la formidable Alcina de dont on pouvait penser autrefois qu'elle resterait pour toujours cantonnée à Morgana en raison de son gabarit vocal. C'était sans compter sur l'intelligence musicale de cette immense artiste, qui touche au sublime dans la plupart de ces airs. C'est peut-être sur le plateau de Tamerlano que se distinguent les autres interprètes d'exception, au nombre desquels on mentionnera l'Andronico déchiré de , la pathétique Irene d', l'émouvante Asteria de , le puissant Bajazet de et l'incroyable Tamerlano de , enfin dans un rôle à sa mesure. Par la force de son incarnation théâtrale – monstre de sadisme qui finit par devenir touchant –, par la vibration si particulière de sa voix, il fait de ce coffret un ingrédient indispensable pour toute discothèque haendélienne qui se respecte. À la tête de ses Talens Lyriques, apporte à ces deux partitions exceptionnelles toute l'élégance, toute la finesse et toute la force dont il est coutumier.

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