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Le songe d’une nuit d’hiver : The Fairy Queen à Vienne

Juste avant de s'attaquer à sa 33e mise en scène d'opéra, , avec l'alibi du semi-opéra de Purcell The Fairy Queen, ausculte ses 13 ans de mise en scène dans une ode vibrante au monde lyrique.

Le pari était gonflé de s'emparer de la dramaturgie défectueuse de The Fairy Queen. On ressort des trois heures pleines de son ambitieuse réalisation sur plusieurs niveaux de lecture avec une provision d'émotions pour l'hiver. Rappelons que ce fut The Fairy Queen et non Didon et Enée qui, dans l'Angleterre de Charles II, valut à Purcell son surnom d'Orpheus Britannicus. Semi-opéra, The Fairy Queen devait seulement border un Songe d'une nuit d'été revu et corrigé par la plume de Thomas Betterton, comédien-directeur du Dorset Theater où la machine à tubes de Purcell fut créée en 1692. Le compositeur n'a mis aucun des vers de Shakespeare en musique, son rôle se bornant, ainsi que cela se pratiquait dans les Masques de l'époque, à traduire des états d'âme.

De ces états d'âme fait son miel, le monde qu'elle nous donne à voir n'en manquant pas. C'est celui qui s'agite, cinq semaines durant, dans toutes les maisons d'opéra pour accoucher du grand œuvre et sans qui les spectacles qui nous enchantent saison après saison, ne pourraient exister. L'amour tangible que la metteuse en scène porte à un des plus beaux métier du monde fait surgir de ce microcosme éphémère une épatante galerie de personnages : chanteurs entre doutes musicaux et amoureux, mais aussi machinistes dans la lumière, dramaturge que le directeur de théâtre oublie au moment des remerciements, décorateur manipulateur, metteur en scène en proie au doute (ah bon ?), assistant-metteur en scène rêvant de monter sa propre Traviata, et même, indice capital ici, accessoiriste dépitée tentant en vain de refiler à chacun la paire d'ailes de Cupidon…

À la façon dont Britten, autre Orpheus, l'a tenté dans son Let's make an opéra, elle nous offre sur « le » plateau le mode d'emploi ; en commençant par la fin : saluts vers la rampe, remerciements du directeur de théâtre en coulisses, puis vertigineux retour en arrière dans un décor de salle de répétition. Sur le mur du fond du très réaliste décor de , on peut lire : Cinq semaines plus tôt… On y lira aussi, en un délectable procédé à la Annie Hall, les pensées secrètes de chacun, isolé alors du groupe par un halo de lumière : complicité garantie avec la salle, fonctionnant à plein jusqu'à l'entrelacs vertigineux des affects précédant l'entracte. Cette radiographie du spectacle en train de se faire évite minceur autant que prosaïsme, irriguée qu'elle est par une vraie tendresse pour tous, une foule de bonnes idées, de vrais instants de grâce (le délectable exercice d'échauffement sur les 50 secondes de l'ineffable Prélude en apesanteur du II !) Entre sourire et soupir, le spectateur, homme de toutes les confidences, saura tout de l'envers du décor.

Le second niveau est consacré à la pièce du grand William, que, pour la partie émergée, l'on ne verra qu'en creux, contrairement à la très divertissante option choisie à Glyndebourne par Jonathan Kent qui faisait jouer l'adaptation de Betterton.

Le versant immergé du Songe d'une nuit d'été nourrit le troisième niveau : l'inévitable circulation du désir. Les amants de Shakespeare sont là, dans un jeu souvent émouvant, souvent cruel aussi : ce metteur en scène qui tire du chœur (et du cœur de son ex) la future diva, l'embrasse à pleine bouche juste avant sa prise de rôle pour ensuite l'ignorer, ce coming out forcé du ténor, et surtout les amours désappointés de la dramaturge pour laquelle Cupidon accumule les flèches empoisonnées.

Une fois revenus à la case-départ avec un savoureux bis repetita muet de la scène d'ouverture, une dernière demi-heure nous fait quitter le réalisme de la coulisse et nous propulse, après un suspense savamment entretenu (effet garanti du lever de rideau du spectacle dans le spectacle en fin d'Acte IV !), dans la magie longtemps attendue de la scène. Le contre-jour d'une superbe forêt consolatrice réunit les deux héroïnes. L'hilarante parodie shakespearienne de Pirame et Thisbé cède ici la place à un bilan désabusé dans les bras du décorateur confirmé en Puck : le Théâtre plus fort que la Vie ?

Une merveilleuse équipe de chanteurs joue là aussi sa Vie (quatrième niveau de lecture ?). Tour à tour très amusante et touchante, est une délicieuse actrice quand l'excellente chanteuse laisse poindre l'effort face à la maîtrise de l'anglais, décidément difficilement exportable. Le toujours stylé surprend par des couleurs sombres. en impose en Boesch/Puck meneur de jeu. est un ténor très subtil, et , produits maison, de très prometteuses recrues. La plus touchante peut-être, est la Marie-Claude de…Marie Claude Chappuis (tous sont appelés par leur vrais prénoms). Longtemps sous-employée musicalement parlant, la remarquable chanteuse suisse prend peu à peu la place que sa voix mérite. Notons que chacun des membres du superlatif accède ici à une reconnaissance individuelle que le programme dans le programme reproduit fidèlement.

Quant à la première incursion des Talens Lyriques dans le monde scénique enchanté de Purcell, à peine entachée par une rétive partie de trompettes, elle est, comme la scène, la vie même, très contrastée, éloignée autant que possible de tout chic anglais.

Le Theater an der Wien peut se féliciter de ce troisième opus de l'alliage toujours stimulant Clément/Rousset (ici même un poignant Castor et Pollux, à l'Opéra du Rhin une Platée de référence). Cette Fairy Queen, vrai cadeau d'un metteur en scène à son public, se clôt par un superbe clin d'œil au final de E la Nave va en montrant un théâtre que l'on vide d'une scène qui s'en va voiles au vent comme celle du Molière d'Ariane Mnouchkine.

Crédits photographiques : © Monika Rittershaus

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