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La face sombre des Noces de Figaro à Nantes

Après Don Giovanni la saison passée, et poursuivent leur exploration de la trilogie Mozart / da Ponte avec Les Noces de Figaro et affrontent un double défi : faire oublier la séduisante production signée ici-même en 2006 par Stephan Grögler, et tenter de renouveler l'imagerie d'un des piliers du répertoire lyrique les plus rétifs à la relecture.

De fait, le point de vue adopté est des plus classiques, à l'exception de deux partis : une complicité charnelle explicite entre la Comtesse et Chérubin, et un contraste saisissant entre une Susanna juvénile et un Figaro qui semblerait être son père. La force du spectacle réside davantage dans une direction d'acteurs réglée au cordeau et un gros effort de caractérisation des protagonistes. Le dispositif scénique unique se végétalise au fil des interventions de Chérubin jusqu'à incarner le jardin au dernier acte. L'ensemble fonctionne, même s'il se révèle intellectuellement moins stimulant que pour Don Giovanni ; il se révèle, malgré les rebondissements de l'action, majoritairement sombre et pessimiste.

La distribution est dominée par la Comtesse de grande classe de qui possède tout pour nous séduire : l'élégance physique, l'opulence du timbre, la maîtrise technique et l'intelligence de l'incarnation. Elle est aussi convaincante dans le doute et l'émotion que dans la véhémence, et Dove sono est incontestablement le sommet de la représentation. André Schuen incarne pour sa part un Comte autoritaire jusqu'à en devenir sadique et violent, avec une grande prestance scénique et un instrument suffisamment ample et coloré, de surcroît fort bien conduit, qui lui vaut un succès personnel dans Vedro, mentr'io sospiro. Rosanne Van Sandwijk ne Chérubin marque davantage l'esprit par son physique androgyne, qui rend d'autant plus troublant son travestissement au troisième acte, que par un timbre assez générique qui la dessert dans ses deux airs pourtant chantés avec probité.

, annoncée souffrante, ne trahit pourtant aucune trace de fatigue et s'impose comme le personnage central de la représentation. Elle joue la comédie à merveille et séduit par un instrument fruité s'épanouissant dans l'aigu, faisant souffler un réel vent de fraicheur dans cet univers où s'exprime surtout la violence des sentiments. Nous sommes admiratifs devant sa compréhension du rôle de Susanna et succombons à un Deh vieni, non tardar détaillé avec tant de délicatesse et d'intelligence. Peter Kalman, en revanche, sans doute le chanteur le moins idiomatique de cette distribution, recherche davantage l'efficacité que le style. Il campe, d'une voix solide et virile, un valet presque aussi velléitaire que son maître, loin de la bonhommie juvénile de la plupart des interprètes du rôle de Figaro.

À l'exception d'un Antonio à bout de voix, les seconds rôles sont très satisfaisants, à l'image de qui confère à Basilio un relief inhabituel. Il est cependant privé de son air, comme Marcellina à laquelle apporte sa loufoquerie habituelle, cramponnée à son déambulateur. Plus effacé, réussit pour autant sa Vendetta tandis que fait de sa cavatine un instant de charme et de fraîcheur.

Comme précédemment dans La Flûte enchantée et Don Giovanni, ne parvient pas à nous convaincre de ses affinités mozartiennes. Dès l'ouverture, il impose une pâte sonore pesante et des  tempi souvent précipités. S'il convient de louer la qualité de la mise en place, on ne peut que regretter le manque de respiration et de variation dynamique dans cette lecture monolithique qui nous renvoie à une tradition lointaine et frise parfois la trivialité comme dans la sonnerie de trompettes de Non piu andrai. Du reste, le pupitre des cuivres nous a paru le moins inspiré au sein d'un des toujours aussi professionnel.

Crédit photographique : © Jef Rabillon pour Angers Nantes Opéra

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