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Diana Damrau et Katie Mitchell enflamment Lucia

Quand la télévision et le DVD offrent à voir une production de Lucia di Lammermoor, c'est souvent pour refléter le plaisir vocal de divas qui, dans le rôle-titre font l'attrait de cette œuvre. La partie théâtrale reste souvent un faire-valoir des prima donna qui se complaisent dans l'exécution des airs les plus fameux en se plantant face au public (ou caméra) dans des attitudes stéréotypées et conventionnelles.

Rien de tel dans cette production du Covent Garden de l'an dernier. Cette production est d'abord une rencontre. Celle de la metteure en scène et de la soprano . La première parce qu'elle prend à bras le corps le drame de cette Lucia di Lammermoor pour en peindre une femme libérée, se débattant dans le carcan machiste de son époque et la seconde pour l'incarner avec une force incroyable. Dans les « bonus » du DVD, parle de comme d'une soprano dont « le chant descend du ciel » et d'une actrice comme « si elle sortait directement d'une école de théâtre de New-York » ! C'est dire si la metteure en scène anglaise peut se réjouir de cette aubaine qui lui permet de montrer cette histoire de femme, et de femmes, sans la barrière d'un théâtre conventionnel mais avec l'engagement d'une personne qui comprend dans les moindres détails où sont les véritables enjeux sociétaux et humains derrière cette intrigue.

Pour illustrer son propos, la metteure en scène anglaise imagine de scinder la scène en deux parties. Sur l'une, on discourt de l'action pendant que sur l'autre scène, on agit. Tels des acteurs muets. D'un côté de la scène on suit l'intrigue telle que Donizetti l'a conçue et de l'autre, telle qu'il aurait pu la penser. On suit donc, d'un côté le chant, et de l'autre les actions des autres protagonistes. Ainsi, le climax envahit les personnages. Comme lorsque Lucia se prépare secrètement à rencontrer Edgardo (en revêtant des habits masculins pour sortir la nuit sans éveiller les soupçons, ni les qu'en dira-t-on) pendant que son frère s'enquiert de la présence annoncée de son ennemi, ce même Edgardo.

Si transpose l'action à l'époque victorienne, c'est encore pour que le caractère libertin (ou libéré) de Lucia soit plus crédible. Et si Donizetti et son librettiste avaient prévu une Lucia s'enfonçant peu à peu dans la folie, pour Katie Mitchell, la jeune femme devient folle avec la déception amoureuse de devoir accepter un autre pour sauver l'honneur, la fortune de son frère. Ne pouvoir épouser Edgardo dont elle attend un enfant, la pousse vers le désespoir, vers la destruction de son état de femme. Elle n'est pas folle, elle sombre dans la folie.

Cette extraordinaire production se regarde comme un film de cinéma, avec ses effets spéciaux, ses flashbacks, ses scènes tragiques (l'assassinat de son mari par Lucia et sa suivante Alisa est quasiment insoutenable de réalité). L'engagement théâtral des protagonistes est tel qu'on en oublie qu'ils chantent un opéra.

Et la musique alors ? Avec (Lucia di Lammermmoor) on entend l'une des meilleures interprètes du rôle. Ici, elle semble vocalement en meilleure forme que dans son enregistrement CD. A ses côtés, (Enrico) habite au bout de son talent la noirceur du chant avec le personnage superbement odieux. Si la voix (Edgardo) n'est pas au rôle ce que les grands ténors (Giuseppe di Stefano, Alfredo Kraus, Luciano Pavarotti et autres Jaime Aragall) ont été, il est un amoureux très convaincant. Dans les autres rôles, la basse (Raimondo) et la mezzo (Alisa) ne déparent aucunement dans cette distribution vocale exceptionnellement engagée.

Si l'on ne doit avoir qu'une seule version de Lucia di Lammermoor c'est celle-là qu'il vous faut. Et tant pis pour les autres divas !

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