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Frank Castorf fait sienne La Maison des morts

Dans le chef-d'œuvre de Janáček, l'Opéra de Munich fait face à une rude concurrence et s'en tire avec tous les honneurs.

Depuis la production de Patrick Chéreau au festival d'Aix en 2007 puis en tournée, De la maison des morts occupe dans les programmes des grands opéras du monde une place inédite et bien méritée : après la création à Londres d'une autre coproduction internationale mise en scène par Krzysztof Warlikowski, c'est au tour de de s'y attaquer pour l'Opéra de Munich – et la soirée démontre une fois de plus à quel point cette œuvre mérite sa récente faveur.

Castorf, auréolé d'un Ring de Bayreuth triomphal, est un choix presque évident pour cette œuvre dont les thèmes vont à la rencontre de ce qui fait son théâtre – l'intérêt pour Dostoïevski et le monde russe n'en sont que l'exemple le plus évident. Cette évidence a pourtant quelque chose d'un piège : le succès de son Ring tient dans la confrontation féconde de deux univers ; ici, les images sont plus attendues, d'abord parce qu'elles ont leurs racines visuelles dans ce Ring, ensuite parce qu'elles paraissent, dans ce contexte, presque illustratives. Peu importe : le décor tournant d'Aleksandar Denić, sorte de castelet riche en fils barbelés, miradors et symboles défraîchis de la société de consommation, enrichi par des surfaces de projection vidéo, est d'une grande force théâtrale, et l'instantané d'humanités souffrantes, si classiquement castorfien qu'il soit, tire sa grande force de son pouvoir d'évocation directement ancré dans le livret. L'aigle-Aljeja, symbole de liberté dont la connotation sexuelle n'est certes pas absente, n'est pas la seule échappée vers la couleur dans le spectacle, mais il est la plus manifeste, la plus vivante, la plus insaisissable aussi.

Après Palestrina de Pfitzner il y a quelques années, revient à Munich pour diriger la première de l'opéra de Janáček. On est d'abord saisi par la beauté de l'orchestre, par la plénitude du son, par l'efficacité dramatique de son interprétation ; ce n'est qu'au fil de la soirée que les réserves apparaissent : le volume sonore est constamment poussé vers le haut, et on aimerait un peu plus de travail de nuances pour individualiser les scènes et soutenir le travail sur le texte. Le soprano délicat d' ne fait pas le poids face à ce déferlement sonore, et même paraît bien pâle dans le rôle pourtant capital du malfrat Filka Morozov. Les deux meilleurs chanteurs de la soirée, eux, parviennent à s'imposer face à l'orchestre : , en monstre au-delà de la souffrance, est au sommet de son art, mais c'est surtout le timbre clair et la diction percutante de qui s'imposent ; Castorf donne à l'inverse au personnage une sorte de légèreté, celle d'une folie à la fois douloureuse et dansante, et la lumière dans la voix de Workman exprime autant la souffrance physique et morale que ce délire heureux. C'est aussi cela, l'art d'un metteur en scène : faire de la voix et du corps (et, bien sûr, de l'intelligence) de son interprète le chemin du sens et du théâtre.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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