- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Songline de Marc Mauillon, sur la route

Songline, l'itinéraire monodique de trace sa route et pose son havresac au pied des Vosges. Au terme d'une semaine sous le charme du jeune baryton français invité par Musique et Mémoire pour quatre soirées, le public très averti du Festival fait le plus chaleureux des accueils à ce solo inédit créé en 2014, en Bretagne, au Petit Festival.

Même si tout, dans le programme général de l'impressionnante vingt-cinquième édition du Festival Musique et Mémoire (Orfeo, Messe en si…), laisse à penser que Songline sera présenté dans sa version scénique (encadrée par un mikado de leds tirées du sac, la bouleversante chorégraphie vocale et corporelle entre ombre et lumière d'un homme fasciné par le chant de son corps), il n'en a rien été. La version de ce soir est un entre-deux. Néanmoins, une fois passé ce douloureux deuil à faire, force est de reconnaître, même dénudée de son visuel, la force de conviction de Songline.

Elle repose bien évidemment sur le magnétisme vocal et humain de son interprète, n'hésitant pas à tomber la bure de l'hilarant Moine-Camembert de Shirley et Dino pour se mettre à nu dans l'aplomb audacieux du Nô de Songline. On voit mal aujourd'hui qui, hormis , pourrait tenir, une pleine heure durant, la gageure insensée d'un tel concert a cappella. L'écoute de ce timbre unique, immédiatement dépaysant, ressuscite avec bonheur le chant du troubadour ( compagnonne avec Jordi Savall, enregistre Guillaume de Machaut). Qualifié naguère dans ces colonnes d'Orfeo contemporain, il a effectivement décliné à la scène le héros de Monteverdi. Une autre image sonore s'impose également : celle, de type hypnotisante, du muezzin.

Marc Mauillon, Orfeo et Muezzin donc, comme on peut s'en rendre compte dans le minuscule Chœur Roman de Mélisey (moins de deux centaines d'auditeurs) dans lequel le chanteur double Songline d'une expérience acoustique. Il y pénètre à pied du dehors, venant peut-être d'Australie, où les itinéraires marchés/chantés des aborigènes ont inspiré à Bruce Chatwin Songlines (Le Chant des pistes), dans les pages duquel le baryton français a rêvé Songline, itinéraire monodique. Il chante de dos, marche paisiblement, fait de sobres claquettes, puis repart comme il est venu non sans avoir tranquillement plongé son regard dans celui de chacun des spectateurs. Surgi de l'obscurité, caressé par les variations lumineuses de Benoît Colardelle, le spectacle est un vrai voyage intérieur.

Le programme reproduit quasiment celui du disque paru fin 2016 (clef ResMusica). Du VIIe siècle au XXe, de (découverte pour beaucoup, ce soir, en compositrice) à , la virtuosité du chanteur, la perfection des enchaînements gomme quasiment la temporalité et la différence des styles de ce grand écart musical. N'apparaît qu'un homme paisible pour qui « le temps et l'espace ne font qu'un ». À la fin de la soirée, Marc Mauillon remercie le public pour une écoute qui conforte son espoir qu'un tel programme puisse générer « autant de bienveillance ».

Songline repartira très prochainement sur la route, traversera les frontières, vers Varsovie et Munich, où, espérons-le, le troubadour moderne, muni à nouveau des arcs lumineux qu'il aura remis dans son sac à dos, ressuscitera la chorégraphie qui donne tout son sens à l'expérience physique que doit être aussi Songline. Et, qui sait, rêvons avec Marc Mauillon d'un retour aux sources australiennes, afin de boucler la boucle humaine de cette prégnante randonnée en solitaire.

Crédit photographique : © Festival Musique et Mémoire

(Visited 771 times, 1 visits today)