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Une étonnante reprise du Tristan und Isolde de Peter Sellars

En ouverture de cette saison anniversaire de l'Opéra de Paris, cette reprise du Tristan und Isolde par a de quoi surprendre et à plus d'un titre. Avec une mise en scène désormais classique mais toujours pas acceptée par une partie du public et une distribution dépareillée mais pas inintéressante dans les contrastes qu'elle propose, le beau, le laid, le poétique et le trivial se côtoient.

Treize années après les premières représentations de sa mise en scène, est accueilli par une salle toujours divisée entre les détracteurs des vidéos de qui seraient trop écrasantes et ne laisseraient place qu'à une mise en espace minimaliste, et ceux qui, au contraire, se noient avec délectation dans l'onirisme ritualiste des vidéos, considérant que ces dernières appuient le discours musical et le sublime. Nous ne reviendrons pas davantage sur ce travail souvent commenté, si ce n'est que nous apprécions ce travail épuré à la direction d'acteur très fouillée, portée par une musique en osmose avec les images et une spatialisation impressionnante des chœurs et solistes dans la salle.

Mais pour exister, les chanteurs/acteurs doivent se dépasser. À ce titre, la distribution des deux principaux protagonistes est extrêmement étrange car et ne peuvent apparaitre plus opposés dans leur approche et leurs capacités.

Pour sa prise de rôle, ne fait que survivre vocalement pendant près de quatre heures au rôle écrasant d'Isolde pour lequel elle n'a absolument pas les moyens vocaux. Le timbre est criard, un peu « mégère » et pas un aigu ne sort sans acidité, à la limite du cri et de la fausseté, même dans le Liebestod que pourtant tout le monde attend. C'est assez désagréable à entendre mais à écouter de plus près, c'est une autre histoire. Car, grande musicienne, on entend assez rapidement le travail incroyable de l'artiste sur le phrasé, les mots, les intentions. Pas une phrase qui ne soit ciselée par des nuances dans la déclamation et les tonalités. Il faut entendre la subtile ironie du I sous les dehors d'une imprécation primaire, le trouble du II avant l'abandon extatique au III. Et, quand le registre dramatique n'est pas trop sollicité, on découvre des couleurs dont on craignait au départ qu'elles ne manquassent. C'est une vraie incarnation d'Isolde qui nous est proposée et, du mordant à la douceur, de la princesse vengeresse à la femme transcendée, on finit par y croire franchement. Ce courage-là, un peu inconscient, cette interprétation « à corps perdu », ne sont pas loin de nous séduire.

est exactement à l'inverse. Vocalement, il ne fait qu'une bouchée du rôle de Tristan. Une projection insolente, une puissance phénoménale et impressionnante et un timbre clair et séduisant ; et puis c'est à peu près tout. On reste admiratif face à la déflagration et à la diction parfaite du ténor – surtout au délire hallucinant du III – mais pas un seul instant on ne croit à ce Tristan hystérique et sans noblesse aucune. Pas un instant l'émotion ne pointe. La faiblesse de la coloration éloigne tout semblant de poésie et le chant apparaît trop monolithique et uniquement destiné à en mettre plein les oreilles. Tout cela peut passer, voire plaire, avec Parsifal ou Siegfried, mais pour Tristan on voudrait aussi tomber un peu en amour.

Et cet amour, cette empathie, c'est au roi Marke toujours aussi bouleversant de qu'on le donne. À fleur de peau, oscillant entre la volonté de comprendre et le désespoir abyssal, la basse fait entrevoir au spectateur sa relation « particulière » avec Tristan. On ne rappellera jamais assez la beauté du bronze qui évolue ici entre supplication et soupirs, murmures et ressaisissements au moyen d'un travail remarquable sur les intonations. L'un des plus bouleversants roi Marke sur la scène internationale aujourd'hui.

connait bien cette production et, bien qu'un peu en retrait, son timbre sublime, rond et moiré, fait sensation, surtout dans les appels du II. Même si le volume est plus limité et l'incarnation assez sommaire, est, vocalement, un Kurwenal de grand luxe au timbre sombre et à la ligne de chant onctueuse.

Le chœur précis et engagé est impressionnant à entendre de la salle et le reste de la distribution est superlatif avec notamment l'excellent Melot de et l'étonnant marin aux accents presque inquiétant de .

Après le narcissisme soporifique de son Parsifal, semble revenir un peu au théâtre sans renoncer à l'esthétisme. Et c'est réussi car il ne se préoccupe plus seulement du son. Dès le prélude, on entend les contrastes entre tumulte et apaisement, et ce fil irrigue toute la direction du chef qui demeure attentif aux capacité de ses chanteurs. On apprécie pleinement les couleurs de l'orchestre, les violons diaphanes lors de la révélation du philtre au I, qui ne sont pas sans rappeler Debussy, et l'ironie qui sous-tend la rencontre des deux héros. L'orchestre ne fait pas qu'accompagner, il apporte des éclairages, des commentaires à l'action. Les tempi relativement rapides du II sont étonnants mais apportent une forme d'urgence au détriment de l'élégie. L'acte III, tout en tension, est porté par un orchestre chauffé à blanc avant de s'achever par un Liebestod totalement éthéré.

Crédits photographiques : © Vincent Pontet / Opéra national de Paris

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