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Fabuleux coffret munichois de Sergiu Celibidache avec des Bruckner inégalés

Le coffret Warner « The Munich years » rassemble le legs de à la tête de l', qui comprend quelques unes des plus belles exécutions de l'histoire de la musique, particulièrement dans Bruckner.

Né en Roumanie en 1912, devint célèbre du jour au lendemain lorsqu'il fut nommé chef de l'Orchestre philharmonique de Berlin après la guerre, en attendant le procès en dénazification de Furtwängler. Après le retour du maître, il partagea l'estrade avec lui mais la nomination de Karajan en 1954 lui fit quitter Berlin ; après des années passées à diriger des orchestres de radio (dont le national de France), il trouva son port d'attache à Munich où il porta l'orchestre philharmonique à son plus haut niveau de 1979 à 1996.

En effet ces 48 disques reflets de concerts donnés à Munich, essentiellement dans la philharmonie de Gasteig, inaugurée en 1985 , montrent à quel degré de perfection instrumentale Celibidache, connu pour son goût des répétitions avait porté son orchestre. L'audition de l'ensemble montre à la fois la relative étroitesse du répertoire mais aussi l'extraordinaire fusion accomplie entre la vision souvent très personnelle du maestro roumain et ses musiciens. Le coffret, dans lequel ne figure aucun grand concerto (seule œuvre concertante, l'inattendu concerto pour marimba et vibraphone de Milhaud…) suit un ordre chronologique pour les œuvres symphoniques avant de donner quelques lectures parfois déroutantes des grandes pages sacrées. La Messe en si n'a rien d' « historiquement informée » bien sûr mais ceux que bouleversent encore Giulini, Karajan ou Klemperer goûteront ici au même nectar. Haydn et Mozart souffrent un peu de la lenteur des tempos de Celibidache, une constante plus ou moins marquante dans toutes ces gravures tardives mais à laquelle on ne peut pas réduite son art de la direction ; il était aussi capable que ses collègues de faire claquer les scherzos avec furia, mais comme peu d'entre eux il savait maîtriser un grand flux musical tendu sur une longue durée.

Le cycle , auquel ne manque que la Symphonie n° 1 (tandis que la n° 4 figure deux fois) est inégal avec des réussites (l'Héroïque, l'envoûtante Pastorale) et des déceptions (une n° 5 sans élan) voire des demi-succès (la n° 9 dont on aurait pu tant attendre, reste loin derrière la vision démiurgique de Furtwängler). De même la n° 9 de reste en deçà de nos espérances. En revanche le cycle (les quatre symphonies, les Variations Haydn et le Requiem allemand) révèle une puissance dans le brassage d'une pâte sonore très dense et trop souvent compacte, très impressionnante. Il en va de même avec les trois dernières symphonies de , d'une rare hauteur d'élévation et d'une éblouissante puissance d'architecture en particulier la n° 2. Les trois dernières de sont inégales, la n° 4 sans flamme (tout comme la Shéhérazade de Rimski) , loin de la formidable surtension d'un Mravinski, la n° 5 belle mais un peu distante tandis que la Pathétique s'ouvre par un premier mouvement de vingt-cinq minutes sans égal dans la discographie ; littéralement bouleversante, sans plus aucune trace de sentimentalité, cette interprétation est sans rivale au disque (hormis celle, très différente mais tout aussi personnelle, de Bernstein).

Le chef roumain a peu dirigé la musique du XXe siècle, mais son raffinement sonore fait merveille dans et Maurice Ravel (y compris comme orchestrateur de tableaux d'une exposition colorés comme jamais), sans convaincre dans Milhaud et Roussel curieusement dépourvus de rebond alors que le Requiem de émeut profondément. La musique russe explore (une vaste Symphonie n° 5 et une symphonie Classique très proche dans ses tempi de la gravure berlinoise de 1948) et Chostakovitch, avec les Symphonies n° 1 et 9, pas les plus significatives du compositeur soviétique. Quant au Concerto pour orchestre de ou la Symphonie des psaumes d'Igor Stravinski, ils se rattachent curieusement au siècle antérieur.

Deux disques d'ouvertures montrent un chef tout de même à l'étroit chez Rossini ou Verdi, mais le Requiem de ce dernier ne manque pas de grandeur, plus que d'éclat. Deux beaux disques d'extraits wagnériens hélas bien fragmentaires (mais on sait que Celibidache, parmi ses nombreux anathèmes, se refusait à diriger dans la fosse) ouvrent surtout la voie au sommet du coffret. Car les douze disques dévolus à forment en effet un ensemble prodigieux qui demeure à tout point de vue inégalé dans la discographie . Cette fois, l'osmose entre la pure splendeur orchestrale, le génie du compositeur et l'extraordinaire intensité de la direction aboutissent à des gravures littéralement prodigieuses. Aucun autre chef jamais n'a atteint les sommets des Symphonies n° 8 et 9 ainsi jouées en 1993 et 1995. La capacité du maestro à tenir dans des mouvements de plus d'une demi-heure chacun (adagios des trois dernières symphonies, finale de la n° 8, premier mouvement de la n° 9) la barre d'une progression musicale et presque dramatique sans aucune faiblesse, l'attention aux détails qui fait ressortir des contrechants qu'on n'entend jamais sous une autre baguette tout en bâtissant une architecture surhumaine, tout cela n'a réellement aucun équivalent dans l‘histoire de la direction d'orchestre. Pour cet ensemble des Symphonies 3 à 9 ainsi que du puissant Te Deum et d'une Messe en fa élevée au niveau de la Solemnis beethovénienne (avec une en état de grâce), ce coffret est un indispensable absolu de toute discothèque.

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