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Jakub Hrůša et les Bamberger Symphoniker décevants dans Mahler

Dans le cadre du week-end thématique consacré à par la Philharmonie de Paris, les Bamberger Symphoniker dirigés par leur nouveau directeur musical Jacub Hrůša peinent à convaincre dans une Symphonie n° 3 en pointillé.

En dehors de leurs origines communes (l'orchestre fut constitué après la Seconde Guerre mondiale par des musiciens germanophones tchèques passés à l'Ouest), il faut rappeler les affinités tenues qui unissent le compositeur autrichien et la phalange bavaroise. C'est précisément dans cette ville de Bamberg que se tient, depuis 2004, la Mahler compétition, concours de direction d'orchestre institué par Jonathan Nott, et parrainé par la petite-fille de , Marina Mahler. Par ailleurs, on se souvient également de l'intégrale récente du corpus symphonique, menée par le chef britannique pour le label Tudor, avec une Symphonie n° 3 assez discutée, sinon discutable… d'où l'intérêt très vif de ce concert présentant cette même œuvre sous la direction du jeune chef tchèque , qui a succédé à Jonathan Nott au poste de directeur musical depuis 2016. Un jeune chef à la carrière fulgurante, ancien assistant de Myung-Whun Chung au « Philhar », qui nous a souvent séduit, notamment dans le répertoire slave.

Hélas, les attentes sont vite déçues par une lecture le plus souvent chaotique se réduisant à des performances solistiques individuelles et à quelques beaux moments. Loin de toute vision d'ensemble, qu'elle soit conceptuelle et analytique dans la lignée d'un Pierre Boulez ou à l'inverse plus engagée et vibrante à la manière d'un Bernstein, il faut bien reconnaître que l'interprétation de Jacub Hrůša interroge par son manque de continuité dans la conduite du discours, par son manque d'impact émotionnel et par son tempo exagérément lent.

Composée de six mouvements, il s'agit d'une œuvre gigantesque, monstrueuse où Mahler nous propose plus qu'un monde mais un univers, voire une nouvelle cosmogonie. Toute inspirée par la Nature, la Nature consolatrice, chargée d'amour, elle répond à un plan d'ensemble, qui est sans doute le plus ambitieux jamais conçu par un symphoniste. Partant de la matière, des rochers, il entrevoit déjà une immense épopée qui gravira une à une les différentes étapes de la Création pour parvenir jusqu'à l'Homme, avant de s'élever jusqu'à l'Amour universel conçu comme transcendance suprême.

Le premier mouvement constitue à lui seul la première partie de la symphonie. Il oppose à plusieurs reprises un matériau instrumental inerte et une marche implacable toujours plus volumineuse dans une association qui lui confère un aspect de collage musical, alternant fanfares stridentes et bruits de la nature. Difficile alliance dont Jacub Hrůša peine à réaliser la synthèse et dont il donne, ici, une vision trop théâtrale par ses excès de nuances, ses contrastes outrés et ses ruptures rythmiques inopportunes. Le second mouvement, Tempo di Menuetto, ne convainc guère plus en se résumant à de beaux dialogues entre hautbois, cordes, petite harmonie et harpes, où l'émotion est cruellement absente, malgré des performances individuelles irréprochables.

Le troisième mouvement, Commodo, Scherzando, laisse une large place aux vents magnifiques de la phalange bavaroise, mais le cor de postillon est si lointain qu'il en devient inaudible, noyé dans un mouvement rendu totalement déliquescent par un tempo d'une accablante lenteur. Le quatrième mouvement, « O Mensch ! », est un mouvement de méditation intense s'appuyant sur un lied pour voix d'alto extrait du Zarathoustra de Nietzsche, dont donne une bien pâle interprétation avec une voix qui manque de puissance et de relief.

Le cinquième mouvement voit l'entrée heureuse des chœurs de femmes et d'enfants, superbement préparés par . Magnifique moment de fraîcheur et de naïveté auquel se joint à l'unisson pour une très réjouissante cantate « Bimm bamm ! Es sungen drei Engel » fondée sur un poème du Wunderhorn intitulé Armer Kinder Bettlerlied. L'Adagio final, comme une vaste prière toute empreinte de beauté et de sérénité, est sans doute le mouvement le plus réussi, moment tant attendu où le chef trouve enfin le ton juste et le tempo adapté. Le seul qui laisse sourdre un peu d'émotion, entretenue par le sublime legato et la sonorité sombre des cordes (violoncelles et contrebasses), renforcée par un phrasé souple et ample et une dynamique enfin pertinente, avec des crescendos bien amenés et remarquablement réalisés par des cuivres éblouissants de bout en bout.

En bref, on attendait beaucoup de cette symphonie hors normes et qui justifiait sans doute une toute autre approche. Une œuvre monde qui se réduit finalement aux deux derniers mouvements. Voila qui est bien peu, malgré un très bel orchestre. Dommage !

Crédit photographique : © Andreas Herzau

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