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Carmen à Metz revisitée par Paul-Émile Fourny

Mise en scène à concept et accomplissement du travail d'équipe pour un des plus beaux fleurons du répertoire lyrique. Succès garanti en dépit de quelques faiblesses vocales.

Le concept de mise en scène développé par repose sur deux idées centrales. La première, plutôt heureuse, consiste à transposer l'univers des contrebandiers vers celui d'artistes de théâtre, le lieu représenté sur scène étant explicitement inspiré du Théâtre Moriconi de Jesi, ancienne église transformée en salle de spectacle. La beauté du décor ne fait aucun doute. Carmen est ainsi une comédienne, surnommée Carmencita, qui au premier acte se bat avec une habilleuse et qui se prépare à jouer le rôle de… Carmen. Escamillo est quant à lui un acteur célèbre qui s'apprête à jouer le rôle du célèbre toréro et à affronter non pas le taureau, mais le public. Au deuxième acte Carmen dit être prête à l'aimer sur scène, alors que dans la réalité il n'y faut pas, du moins pour le moment, y songer. Le texte parlé, on le voit, est légèrement réécrit, et tout cela fonctionne. La mise en scène dépeint avec tendresse et humour, notamment au deuxième acte, tout ce petit monde d'intermittents – le terme figure d'ailleurs comme l'insulte suprême adressée à Carmen par José à la fin du premier acte… – épris de liberté et toujours créatif, jouissant à chaque instant de la spontanéité et des opportunités du moment présent. À ce monde drôle, vivant et rebelle, quelque peu interlope, s'oppose l'univers des « flics » qu'incarnent le policier Moralès, le commissaire Zuniga et l'inspecteur José, tous autant serrés dans leurs uniformes et leurs costumes-cravates que contraints dans les règles et les lois qu'ils doivent faire observer. Tout cela est on ne peut plus conforme à l'esprit du chef-d'œuvre de Bizet.

Les choses se compliquent un peu avec l'apparition de l'idée n°2, puisqu'il incombe à l'inspecteur José, traité d'« incompétent » par son supérieur, d'enquêter sur les meurtres qu'il a, apparemment, lui-même commis : à la fin du quatrième acte, il occit visiblement Frasquita et Mercedès en plus de la Carmencita. La confusion que génère la situation est accrue par le traitement du personnage de Micaëla, présentée dès l'ouverture comme l'infirmière en psychiatrie chargée du patient José, sans doute au stade ultime de l'enquête. Dans le genre, Dmitri Tcherniakov a proposé des concepts plus aboutis. L'action prend cependant une autre tournure à partir du troisième acte, quand on voit la tragédie prendre peu à peu le dessus. Les personnages du chœur se transforment en figures fantomatiques qui évoquent le poids du destin. La course à la mort est pleinement assumée par l'utilisation de masques et de marionnettes, par le recours à des poses et des costumes stylisés de toute beauté qui créent ce qu'il faut appeler désormais le style Fourny, patte que l'on a déjà perçue dans plus d'une mise en scène puccinienne et qui sied particulièrement à l'univers de la Carmen de Bizet. L'élégance des éclairages, la force des dernières images du quatrième acte resteront longtemps dans les mémoires.

Comme souvent dans les réalisations de , le succès de la production repose sur le travail d'équipe plutôt que sur telle ou telle performance individuelle. On saluera donc, en plus de l'investissement visible des choristes et des figurants, la qualité des rôles dits secondaires, surtout chez les messieurs. Mention spéciale pour le Dancaïre haut en couleurs de ou le Remendado de . Bien chantants également le Moralès de et surtout le Zuniga stentorien de la basse , un nom certainement à suivre. Des deux comparses de Carmen, on préférera le soprano argenté de à la Mercedès un rien stridente, quoique très investie scéniquement, de . Quelques déceptions chez les protagonistes, avec tout d'abord l'Escamillo assez pâle vocalement de . , même si sa voix a pris un peu d'ampleur, n'a pas non plus le soprano véritablement lyrique d'une grande Micaëla. Quant à , il semble avoir recouvré une partie de ses moyens vocaux et l'on souhaite qu'il retrouve la souplesse de ses aigus d'autrefois. est une très belle Carmen, dont les moyens sont davantage ceux d'une mozartienne et d'une rossinienne mais qui parvient, par la discipline et la classe de son chant, à maîtriser tous les aspects de ce rôle exigeant entre tous. Sur le plan musical, le superbe , particulièrement dans son élément avec la partition de Bizet, réunit tous les suffrages. La direction à la fois énergique et profonde de aura contribué à souligner toutes les beautés d'une œuvre qu'on ne se lasse jamais de réentendre. Cette lecture à la fois clinquante et tragique était en tout cas parfaitement en phase avec les partis pris de la mise en scène.

Crédit photographique : © Luc Bertau – Opéra-Théâtre de Metz Métropole

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