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9e édition du festival Musiq’3 à Bruxelles : de l’unité dans la diversité

Rendez-vous à l'orée de l'été pour bien des mélomanes belges, le Festival Musiq'3 joue encore cette année la carte de la diversité, de la « jeunesse » et du décloisonnement, le tout dans une ambiance conviviale et décontractée. 

Ce festival, imaginé en 2011 pour ponctuer les soixante ans de Musiq'3, la chaîne d'information culturelle de la radio belge d'expression française, ne devait connaître qu'une édition unique : il en est aujourd'hui à sa neuvième ! Il se veut une manifestation d'orientation classique mais résolument « rock and roll » par son concept de diversité, de proximité du public avec les artistes ou de dynamique d'ouverture, ainsi que par l'enchaînement tourbillonnant de concerts aussi brefs – une cinquantaine de minutes – que contrastés.

La station belge classique y va d'une bonne trentaine d'heures de direct en trois jours ! Les artistes nationaux sont évidemment à la fête. De nombreux et jeunes solistes et ensembles internationaux, surtout français, connaissent aussi ici leurs premières invitations belges (la pianiste Marie-Ange Nguci, le guitariste Thibaut Garcia, l'ensemble Jupiter…)

Notre choix s'est porté sur quelques concerts de la journée du samedi, assez représentatifs du versant le plus traditionnel, quoique varié, de la manifestation.

Le Ricercar Consort retrouve Bernard Foccroulle… comme chef et compositeur

Le Ricercar Consort cette après-midi se présente dans une configuration d'ensemble de quatre ou cinq violes à l'effectif essentiellement féminin, très international et considérablement rajeuni, placé sous la houlette de Philippe Pierlot, supervisant l'ensemble depuis son dessus de viole : c'est l'un des membres fondateurs du groupe à la barre depuis presque quarante ans… la plupart de ses partenaires du jour n'étaient pas nées à la création du groupe ! L'inaugural Prélude et goodnight ground à 5 de William Byrd est, sous ces archets, une oasis de fraîcheur, aux incroyables raffinements harmoniques – ces délicieuses fausses relations – et à la polyphonie serrée digne mutatis mutandis des derniers quatuors beethovéniens. Dans le même registre british, les interprètes magnifient le spleen de la célèbre pavane Lachrymae Antiquae de Dowland suivie de trois gaillardes issues du même recueil, aux irrésistibles et ludiques rebonds rythmiques. Le concert prend un tour plus européen avec quelques simples et évidentes adaptations d'œuvres destinées dans leur mouture originelle à l'orgue, depuis les consonâncias du premier ton du Portugais Pedro de Araújo, ou les trois gloses sur l'hymne de l'Immaculée Conception de son quasi homonyme espagnol Francisco Correa de Arauxo, données tous deux avec une ferveur religieuse presque fiévreuse. Le Ricercare & canzone retenu de montre le maître allemand sous une influence plus italienne : on pense irrésistiblement aux sortilèges d'écriture d'un Frescobaldi, même si la distribution instrumentale retenue ce soir nous rappelle la perfide Albion. Mais le clou du concert est sans aucun doute la création, sous l'utile et sobre direction de l'auteur, des « Exils » de Bernard Foccroulle, lui aussi membre fondateur de l'ensemble mais ayant emprunté d'autres chemins. L'organiste soliste mondialement fêté, professeur fraîchement retraité du Conservatoire royal de Bruxelles, et ex-directeur d'institutions lyriques prestigieuses est aussi un compositeur passionnant et confie à une famille d'instruments qui lui est chère cinq brèves méditations sur l'errance et l'inhospitalité du Monde comme il va (et il va mal !). Basées sur cinq courts fragments littéraires épars, elles sont écrites dans un langage imagé appelant la recherche de sonorités nouvelles (la première pièce se place dans le sillage d'un Giacinto Scelsi) ou explorant toutes les possibilités expressives du consort (pizzicati, flattements, trémolos) envisagées sous un jour post-moderne qui assume diablement les recherches des soixante-dix dernières années, dans une atmosphère confite et désolée à la fois.

, chantre du répertoire hispanique…et d'ailleurs

Déjà invité pour l'édition 2012, fait sienne la diversité auto-proclamée du festival, par un programme éclectique, assez fidèle portrait d'un artiste généreux. Il place d'emblée son récital sous la férule de Johann Sebastian Bach …perçu à travers deux transcriptions. Si la Sicilienne de la sonate pour flûte en mi bémol revue par est un modèle de sobriété et de poésie, la vision pianistique que donne de la Chaconne extraite de la Partita pour violon seul n ° 2 est plus sujette à caution. Déjà cette transposition nous semble bien moins réussie que celle, plus fidèle, pour la seule main gauche signée . Pérez y va d'une vision monumentale voire grandiloquente, non sans écraser de surcroît quelque peu le son dans les forte. La Ballade n° 1 de Chopin voit sa grande courbe quelque peu sacrifiée sous l'autel de l'anecdote ou la foison du détail, sous l'emprise d'un rubato généralisé et un peu excessif et de contrastes de tempi et de dynamique exacerbés. Voilà une vision fiévreuse et emportée certes contestable, à laquelle on adhère ou pas, mais qui ne peut laisser indifférent. Enfin, la suite de l'Amour Sorcier de nous réconcilie définitivement avec l'interprète qui, dans une approche sèche et directe, d'une grande économie factuelle, va droit à l'essentiel : on retrouve ici l'élégance ensorcelante du disciple d'Alicia de Larrocha dans ce répertoire ibérique dont il est un interprète élu. En bis, une courte sonate du padre superbe de retenue classique et de perlé, nous fait regretter un potentiel récital entièrement placé sous bannière espagnole.

et revisitent la sonate pour violon baroque italienne

Formé à la discipline russe traditionnelle sur violon « moderne », , après l'obtention du premier prix au Concours Bach de Leipzig en 2010, s'est tourné vers le violon baroque et a approfondi ses connaissances en matière de pratiques historiques. Lauréat des concours de Rouen et de Bruges, il est entre autres konzertmeister actuel du Concerto Köln, et a enregistré pour le label Ricercar un premier disque très remarqué consacré aux sonates pour violon de , dont le programme recoupe en grande partie celui du récital de ce soir. Quelques jours après avoir entendu Chouchane Siranossian dans un répertoire concertant analogue, il est passionnant de comparer les deux interprètes aux parcours pédagogiques assez similaires, mais aux finalités expressives assez opposées. Le jeu de Sviridov, très décidé, campe davantage sur l'objectivation de la partition avec une virtuosité plus sèche et directe que celle, souveraine mais plus évasive et rêveuse de la violoniste française. On applaudit sans réserve une sonate pour violon seul « del Tasso » d'une impeccable tenue, mais par exemple la sonate « Didone abbandonata » au demeurant superbement maîtrisée pourrait d'avantage émouvoir par une plus grande variété des attaques ou des effets dramatiques. C'est sans doute dans la splendide et monumentale Sonate opus 2 n° 3 de Veracini que l'on retrouve l'artiste à son meilleur, idéalement soutenu par , attentif et subtil claveciniste accompagnateur.


La furia et la poésie vivaldiennes selon l'ensemble Jupiter et Lea Desandre

Placé sous la houlette du luthiste , l'ensemble Jupiter réunit quelques belles individualités de la scène musicale baroque surtout française, avec entre autres l'ébouriffant au continuo. Pour leur premier projet conceptuel, ils se sont associés à la mezzo franco-italienne Lea Desandre au timbre pulpeux et chatoyant, pour un programme d'airs et de concerti vivaldiens mêlant amour, jalousie et désespoir. Peut-être Lea Desandre nous semble mieux réussir les airs les plus tendus, sous le masque de la colère ou de l'extraversion que les scènes les plus méditatives , tel ce « Gelido in ogni vene » extrait d'Il Farnace. L'on regrette que pour des raisons de planning – les aléas du direct et de la radio -, les organisateurs aient trouvé bon de retirer le dernier air programmé, extrait de Griselda, au grand mépris de l'artiste, frustrée, et au grand dam du public.
Au fil des concerti proposés en guise d' intermèdes, c'est le pittoresque et l'expressivité qui l'emportent dans des tempi souvent contrastés, justement cravachés ou savamment alanguis. Le basson solo de Peter Whelan donne presque l'illusion timbrique d'un saxophone égaré dans le monde baroque dans un incroyable et fantomatique Concerto n°23 RV 495. propose une vision poétique et raffinée de celui, célébrissime pour luth en ré majeur, et y va de superbes et virevoltantes incises dans celui en sol mineur pour violoncelle RV 416. Ce somptueux programme, fête de tous les instants, admirablement conçu et défendu, devrait être fixé sur disque pour le label Alpha dans les semaines à venir.

Le trio Aventure dans un passionnant mais discutable périple

Pour terminer notre visite, nous avons choisi le curieux itinéraire proposé par le bien-nommé Trio Aventure, trois jeunes musiciens ayant poursuivi leur formation au sein de la Chapelle musicale Reine Élisabeth de Waterloo. Elena Bushka, élève d'Augustin Dumay et violoniste pourtant d'une trempe assez exceptionnelle, est encore relativement peu connue du public mélomane. Ce n'est pas le cas du remarquable violoncelliste Aurélien Pascal, quatrième prix lors de la première session de violoncelle du Concours Reine Élisabeth 2017 ni du génial pianiste Pavel Kolesnikov, élève de Maria João Pires, dont la carrière a pris un fulgurant essor avec quelques essentielles parutions discographiques chez Hyperion. Dans la lignée de son récent disque consacré au piano à Louis Couperin, c'est le pianiste russe qui mène la danse au fil des menuets extraits des pièces de clavecin du deuxième concert de Rameau. Il aborde l'œuvre du bout des doigts, avec une légèreté de toucher enchanteresse et dans un esprit de totale recréation stylistique, bien suivi dans sa démarche par ses complices. L'effet de surprise est total par l'enchaînement immédiat avec le Mozart-Adagio d', sorte de déploration sur la mort de son ami Oleg Kagan, libre appropriation post-moderne de l'aura mozartienne sous le jour tragique du mouvement lent de la Sonate pour piano n° 2 K.280 complètement revisité.

Mais c'est le Trio à clavier n° 1 de , dans sa tardive rédaction définitive de 1891, qui constitue le plat de résistance de ce parcours, dans une approche à la fois musclée et sophistiquée dans son engagement individuel comme collectif. Pavel Kolesnikov, cette fois peu communicant et quelque peu enfermé dans sa bulle musicale, y impose par moment trop sa personnalité au détriment de celles de ses partenaires. Par exemple, nous percevons mal le rapport métrique entre les tempi des deux grands groupes thématiques de l'Allegro con brio initial, dicté péremptoirement par le pianiste – le premier presque haletant, le second trop étalé. Ailleurs, le pas presque forcé qu'il impose à l'Adagio empêche l'épanouissement des lignes et la respiration naturelle des cordes, pourtant ici d'une rare cohésion dans la section centrale. Il y a d'autres moments magnifiques d'engagement collectif où l'on retrouve l'unité d'un vrai trio à clavier plutôt qu'une collection d'individualités : le Scherzo retrouve des allures de chasse romantique et surtout un final emporté et tragique ponctue en beauté et en force ce curieux concert, certes élégant et passionnant, mais laissant poindre pourtant l'ombre d'une légère déception, eu égard à sa prometteuse affiche.

Crédits photographiques : © Hanna Witte ; Bernard Foccroulle © Conservatoire.be ; Ensemble Jupiter © Christophe Filleule

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