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Pom, Pom, Pom, Poooom…Hélios Azoulay fait son festival

Musicien atypique, toujours présent où on ne l'attend pas, crée son premier festival en terre normande, à Saint-Martin-de-Boscherville, entouré de son . Un festival décalé, aux multiples facettes, à l'image de son directeur artistique.

Personnage attachant et singulier, né en 1975, on connait pour ses débordements, ses provocations multiples et revendiquées, mais plus encore pour ses importantes recherches menées, depuis une dizaine d'années, sur les musiques composées dans les camps de concentration. Une exhumation de documents maudits, comme autant de cris d'amour, de joie, de révolte et de désespoir, ayant donné corps à plusieurs livres (Scandales ! Scandales ! Tout est musique, L'enfer aussi a son orchestre), plusieurs enregistrements discographiques (Même à Auschwitz, Sauvée des cendres) et prochainement un premier roman, Moi aussi, j'ai vécu !

« Pom, Pom, Pom, Pooom…Beethoven est-il le centre du monde ? non ! …Ah ! … ». La réponse claire et sans appel à cette question primordiale autorise alors toutes les audaces transgressives et notamment la création de ce festival au programme éclectique convoquant flamenco, musique classique, jazz, récital de piano et musique klezmer. Un festival pas comme les autres, se déroulant à Saint-Martin-de-Boscherville, petit village normand et haut lieu patrimonial, recelant en son centre la célèbre Abbaye Saint Georges de Boscherville, un des trois joyaux du roman normand, avec Jumièges et Saint-Wandrille.

Frères de douleur dans l'ignominie des camps d'extermination nazis, il était impossible qu' ne rencontre pas un jour la musique manouche. Une rencontre étonnante et détonante portée par les accents syncrétiques de la guitare de Luis Davila Oria et de la clarinette klezmer, toutes deux unies dans un « duende » envoûtant, magnifié encore par la danse de Karine Gonzales, poussée jusqu'au vertige.

Répertoire plus polymorphe pour le deuxième concert qui voit se succéder dans un florilège bien conduit pièces instrumentales et pièces vocales, musiques savantes et musiques des camps. En ouverture Hélios Azoulay propose au public, venu nombreux, une partition originale, Introduction à la théorie du combat, interprétée au Suprême clairon, instrument iconoclaste, né du partage d'une clarinette en si bémol et possédant deux embouchures jouées simultanément ! Une œuvre courte, originale et surprenante, mêlant plusieurs registres de l'instrument. Knee Play, une pièce minimaliste de , extraite d'Einstein on the Beach, joliment exécutée par au violon, assure la suite du programme, avant une Chaconne de Bach magistrale, d'une sublime intériorité. C'est avec une ampleur sonore inaccoutumée, liée à l'acoustique très réverbérante de la salle capitulaire, que Baptiste Vay, à l'alto, interprète la Fantaisie n° 12 de Telemann dont les sonorités contrastent avec le sombre Prélude pour alto de , composé pendant les heures noires, en sourdine, par le musicien tchèque confiné dans son appartement de Prague. Pause vocale ensuite avec une miniature de , Only, sur un poème de (Sonnet à Orphée n° XXIII) chantée a cappella de façon très émouvante par la mezzo-soprano qui porte encore l'émotion à son comble avec les trois berceuses d' composées pour les enfants de Terezin. La dernière création d'Hélios Azoulay, Les bégaiements de l'Exode pour alto et violon, séduit par ses contrastes, tandis que le poème de Clemens Brentano, Es sang vor langen Jahren, mis en musique par conclut ce remarquable concert très spiritualisé.

Changement d'ambiance, avec la musique klezmer, pour le dernier concert de cette édition 2019. Musique traditionnelle des Juifs d'Europe de l'Est parlant le yiddish, musique de l'errance célébrant les différents moments de la vie, chargée de joie, de douleur et d'amour où musicien et instrument sont en totale symbiose. Langage du fond de l'âme, chargé de poésie, porté par la clarinette d'Hélios Azoulay qui crie, pleure ou chante, soutenue par la voix de , le violoncelle de Florent Audibert et la contrebasse de Sébastien Letellier. Une musique bouleversante, qui fait chanter la salle réunie dans un bel hommage à ce beau festival…

Méfiez-vous Hélios Azoulay, après un tel succès, on pourrait finir par vous prendre au sérieux !

Prochain rendez-vous le 7 mai 2020 à la Chapelle Corneille de Rouen pour la création rouennaise de Sauvée des cendres d'après les esquisses de l'opéra de Viktor Ullmann, Jeanne d'Arc 30 mai 1431…Nous y serons !

 

Crédit photographique : Hélios Azoulay au Suprême clairon © Gilles Piel ; Ensemble Musique Incidentale © Didier Péron

 

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