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Présences : le « bel aujourd’hui » de Radio France

Le de Radio-France met à l'affiche six créations mondiales et autant de concerts durant un week-end particulièrement dense.

En résidence à Radio-France, le est au rendez-vous de Présences avec une création mondiale très attendue d'. Dans Sintonia, Quatuor à cordes n°3, le compositeur italien mène une exploration énergétique et risquée dans la matière des cordes, sollicitant les techniques de jeu étendues (brouillage des hauteurs, glissandi vertigineux…) sur ce qu'il considère comme un méta-instrument à 16 cordes. Entre sensualité et incandescence, l'écriture magistrale de Bianchi déploie la virtuosité des archets et sollicite un engagement des interprètes sidérant. Joué en ouverture de concert, Quatuor à cordes du Britannique Tom Coult est une pièce en cinq mouvements fort bien conduite, cernant différents espaces de tension, entre énergie du geste et richesse des combinatoires sonores. Sogni, ombre et fumi (2017), un titre emprunté à Pétrarque, est le seul quatuor de Tristan Murail, sa « Suite lyrique » pourrait-on dire, bien que l'œuvre soit conçue dans le continuum sonore et modèle ses trajectoires sous l'action des processus. Le compositeur veut s'inscrire dans la grande tradition du genre et écarte à dessein tout mode de jeu non traditionnel. Énergie et ferveur bergiennes gorgent une écriture d'une richesse insoupçonnée, superbement restituée par les interprètes, même si l'œuvre de 30 minutes ne va pas sans quelques « belles longueurs ». Il est difficile après cela de mobiliser son attention pour la dernière pièce, Selene (Moon Chariot Rituals) de la compositrice américaine Augusta Read-Thomas, qui convoque, aux côtés des Diotima, quatre percussionnistes et un set d'instruments pléthorique…  Saluons la synergie des huit musiciens et la direction très investie de Simon Proust.

L‘orgue hybride de Thomas Lacôte

L'orgue Gerhard Grenzing est « une personnalité au sein de la Maison ronde », comme aime à le présenter Thomas Lacôte. Le compositeur et organiste, à qui Radio France a passé commande, a carte blanche pour ce concert qui convie également deux cornistes de la Maison, et . Ce sont eux qui débutent avec Accords perdus (1987) de où ils se coudoient, selon l'angle précisé par le compositeur, fondateur de l'école spectrale. Magnifiées par l'acoustique de l'Auditorium, ces cinq séquences, aussi courtes qu'éprouvantes pour les cuivres, nous mettent à l'écoute du son et de ses limites. Les deux cors sont ensuite positionnés à l'étage, de part et d'autre du buffet d'orgue, dans La voix plus loin, création mondiale (dédiée à ) de Thomas Lacôte qui est lui même à la console du Grenzing. Comme chez Grisey, l'œuvre invite à une expérience d'écoute immersive, via une propagation lente et enveloppante du son. Cors et orgue fusionnent et s'hybrident, ou se dissocient pour dévoiler les partiels de somptueuses harmonies-timbre. L'orgue de Lacôte n'est pas l'instrument des tonitruances, mais celui des alliages de couleurs subtils et des textures sonores inouïes développés dans un jeu de registres et de timbres qu'il mène également dans The fifth Hammer (2012-2013), une pièce plus ancienne pour quatre mains qu'il joue avec le concours de . Lacôte referme le concert avec Messe de la Pentecôte (1951) d', un compositeur que l'on retrouvera au fil du festival Présences et qui, rappelons-le, accueillit dans sa classe le jeune Benjamin âgé de 16 ans ! Messe de la Pentecôte est une œuvre-somme, « le résumé de toutes ses improvisations réunies », aimait à dire le compositeur. Elle prend un relief singulier sous les couleurs du Grenzing dont témoigne cet « outre-grave» particulièrement insistant, un son qui « renifle » nous fait remarquer Thomas Lacôte dont l'interprétation remarquable maintient la tension de l'écoute durant les trente minutes d'une pièce exigeante, révélant au mieux la « personnalité » de cet orgue de concert.

L'énergie solaire du  

Invitées par le Festival d'Automne à Paris en octobre dernier, les trois musiciennes du   (basé à Hambourg) sont pour la première fois sur le plateau de Radio France, avec deux créations mondiales à l'affiche. Celle d'abord du compositeur nippon-londonien Dai Fujikura, un ancien élève de . Hop est une courte pièce dont la trajectoire narrative épouse les contours d'une écriture aussi libre que jubilatoire, ménageant un espace expressif à chacun des instruments, avec comme fil rouge cette texture vibratile de la clarinette en bisbigliando qui ouvre et referme la pièce avec délicatesse. Création mondiale toujours avec Février de la compositrice Lisa Illean. Elle définit son travail comme « un irrésistible exercice d'immobilité et de quiétude« , geste répétitif et évolution lente d'une musique dont les trois interprètes nous communiquent la charge émotive et le pouvoir d'envoûtement.

Donnés en création française, les cinq Pièges de neige du Basque sont autant de saynètes qui animent un théâtre de sons peuplé d'instances bruités (touches bloquées du piano, sons fendus de la clarinette, tapping du violoncelle, etc.). La matière crépite, patine ou déferle, selon l'invention débridée du compositeur qui aime, comme son maître Gérard Pesson, utiliser les instruments à contre-emploi. Il met in fine dans les mains des interprètes bouteilles de bière et autres accessoires dont elles jouent avec une égale précision et une même élégance du geste. Sanh (2006) de Christophe Bertrand, qui referme le concert, est abordé avec finesse et sensibilité par le qui en restitue la brillance et la transparences des textures. On est séduit par la qualité du son et la fluidité du jeu des trois musiciennes, aussi concentrées que rayonnantes.

Le en état de grâce

Dirigé par le sémillant Christian Karlsen, le boucle ce premier week-end en beauté avec deux créations mondiales et l'un des joyaux du catalogue de . C'est d'abord un hommage rendu au grand ami, et directeur du , , disparu en 2018, avec deux pièces pointant son talent de mélodiste. Songs without voices (1991) est un bouquet de « romances sans paroles », des miniatures à la polyphonie ciselée qui font « chanter » à tour de rôle les instruments de l'ensemble. Le pianiste Florent Boffard (que l'on retrouvera en récital le 15 février) vient ensuite jouer Sonya's Lullaby (Berceuse pour la fille de Knussen), vignette intimiste autant que poétique. Côté création, Two and six de l'Américain Christopher Trapani est une pièce dédiée à la compositrice , présente dans la salle. Deux flûtes en sol y conversent, roucoulent, chantonnent avant d'être relayées, au terme de leur trajectoire, par deux clarinettes basses qui en réinterprètent le matériau sonore. Plus savoureux sont les instants de tuilage/fondu-enchaîné où les quatre instruments croisent leurs sonorités. Brillamment défendue par le chef et ses musiciens, la nouvelle œuvre de David Hudry, (Re)cycle, fait l'unanimité. L'énergie qu'elle déploie, la frénésie de ses rythmes et la vitalité de son instrumentation nous galvanisent. La pièce regarde vers le jazz, dont le compositeur affine les couleurs et cisèle les contours. Batteur de formation, Hudry instaure un espace de lutte, qui ne va pas sans humour, avec la section rythmique et la pulsation, malmenées par de constantes ruptures opérées en virtuose.

Le concert s'achève sur les hauteurs avec At first light de George Benjamin, une commande du London Sinfonietta passée à un compositeur de 21 ans ! Un diamant aux arrêtes vives et aux éclats multiples… Christian Karlsen et le London Sinfonietta en déploient l'aura scintillante, les harmonies raffinées et les subtilités instrumentales avec un rare bonheur. Le jeune Benjamin met à l'œuvre ses talents de visionnaire pour transférer dans l'univers sonore les fantasmagories de la lumière et son pouvoir de transfiguration.

Est à voir également, sur les murs de l'Agora, la frise que Radio France a commandée à une équipe de plasticiens pour les trente ans de Présences, où apparaissent pêle-mêle et sous différents formats les noms de tous les compositeurs(rices) joués durant le festival depuis 1990.

Crédit Photographique :  Christian Karlsen © Karl Gabor ; Radio-France

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