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Eugène Onéguine de Tchaïkovski à l’Opéra de Rome

Eugène Onéguine de Tchaïkovski revient sur la scène romaine presque vingt ans après les représentations avec dans le rôle de Tatiana en 2001. Cette soirée est dédiée à la mémoire de la grande soprano récemment décédée.


Le style épuré de Robert Carsen, abstrait jusqu'au sublime, fonctionne. A l'Ouverture, le rideau se lève sur une scène presque vide, occupée uniquement par le fauteuil sur lequel est assis Onéguine, séducteur inconstant et lâche tentateur. La mise en scène, d'une extrême économie de moyens, évoque plus qu'elle ne décrit une action qui n'existe d'ailleurs pas dans ce drame de sentiments, que Tchaïkovski décrivait lui-même comme un ensemble de « scènes lyriques » plus que comme un opéra.

Pour montrer ce drame intérieur, une table, deux chaises, un tapis de feuilles et quatre troncs de bouleaux suffisent donc à marquer l'espace scénique. En arrière-plan, résonne le chant des deux sœurs qui rêvent d'amour, et le chœur des paysans. Le choix de Carsen, misant sur le vide, est compensé par la plénitude des couleurs. Leur variation marque le passage d'une scène à l'autre et le crescendo du drame. Le jaune de la steppe russe, lorsque les paysans célèbrent la récolte, cède la place à l'orange, avant de passer au bleu nuit pour mettre en scène l'insomnie de Tatiana, devant la lettre à Onéguine. Le panel des couleurs est évolutif en fonction de la dramaturgie : gris lorsque Tatiana, vêtue en religieuse, subit l'humiliation d'Onéguine qui refuse son amour ; orange dans la scène de la danse où un rectangle de chaises encadre la foule colorée, les propriétaires terriens, invités de Larina, avec leurs manières grossières et leurs habits du dimanche.


Quant à la scène du duel, elle ressemble à un mauvais rêve, enveloppée d'un voile avec les ombres des amis, devenus ennemis, qui se déplacent à pas lents comme des fantômes. Pour dramatiser l'ironie du destin qui a brisé les deux amis, l'idée ingénieuse de Carsen consiste dans la tenue de gala d'Onéguine, tandis que le cadavre de Lenski est emporté par les mêmes serveurs en livrée, qui réapparaissent ensuite pour le bal du Prince Grémine.

La soprano en Tatiana offre une interprétation idéale de ce rôle : elle subjugue tantôt par sa présence théâtrale, tantôt par la sensibilité du legato. Le baryton , se produisant pour la première fois dans ce rôle-titre, impressionne par sa technique mais nous laisse sur notre faim quant à l'émission de sa voix, qui paraît parfois inégale. En plus, bien qu'il soit un bon acteur, il ne convainc pas autant dans les passages d'indifférence et de cynisme au premier acte, puis dans le désespoir face à la mort de Lenski, ni à la déception devant le refus de Tatiana. A contrario, le ténor propose une interprétation aussi intense qu'entraînante. Sa maîtrise technique lui permet d'estomper les aigus, de colorer les graves, d'en varier l'épaisseur et l'intensité pour traduire le tourbillon des émotions qu'il exprime. L'air de Grémine exprimant son amour pour Tatiana est l'un des grands moments de cette soirée, magistralement interprété par le baryton-basse . Son aplomb naturel allié à l'élégance du phrasé souligne l'humanité du prince.

Le spectacle est dirigé par un qui, sans saisir les émotions flamboyantes de cette partition, guide pourtant la phalange romaine avec clarté.

Crédits photographiques : © Yasuko Kageyama

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