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A Genève, le plus beau des Lenski

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Genève. Grand Théâtre. 9-X-2014. Piotr Ilitch Tchaïkowski (1840-1893) : Eugène Onéguine, scènes lyriques en trois actes et sept tableaux. Livret du compositeur et de Constantin Chilovski d’après le roman en vers d’Alexandre Pouchkine. Mise en scène Robert Carsen, reprise par Paula Suozzi. Décors et costumes : Michael Levine. Lumières : Jean Kalman, reprises par Christine Binder. Chorégraphie : Serge Bennathan. Avec Doris Lamprecht, Madame Larine ; Maija Kovalevska, Tatiana ; Irina Shishkova, Olga ; Stefania Toczyska, Filipievna ; Michael Nagy, Eugène Onéguine ; Edgaras Montvidas, Lenski ; Vitalij Kowaljow, Le prince Gremine ; Michel de Souza, Un capitaine ; Harry Draganov, Zaretski ; Raúl Giménez, Monsieur Triquet. Chœur du Grand Théâtre de Genève (Chef de chœur : Alan Woodbridge). Orchestre de la Suisse Romande, direction : Michail Jurowski.

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Avec cet Eugène Onéguine mis en scène par pour le Metropolitan Opera de New-York, le Grand Théâtre de Genève présente un spectacle esthétiquement très beau quoique manquant parfois d'intensité dramatique  par manque de direction d'acteurs.

EugeneOnegin.01wDans le décor nu d'un plateau ouvert sur toute la largeur et la profondeur de scène, baigné de la lumière bleue et glaciale d'un matin d'hiver brouillardeux, Lenski () attend Onéguine pour le duel qui signera sa mort. Presque immobile mais envahissant l'espace d'une présence incroyable, debout dans sa redingote noire, il entonne un triste chant disant la brièveté de la vie et le chagrin d'imaginer Olga, sa fiancée, venant lui rendre visite sur sa tombe. Certes, avec cet air, Tchaïkowski compose l'une de plus belles pages qu'un ténor puisse chanter, mais en dépasse la stricte technique du chant lyrique. Il sublime l'instant. La voix, parfois si douce puis s'amplifiant à l'extrême, reste d'une clarté d'émission extraordinaire. Un moment d'émotion comme on aime les vivre à l'opéra. Le ténor lituanien est le personnage. A un tel point de perfection théâtrale et vocale qu'il parait inconcevable d'imaginer un quelconque autre chanteur pour ce rôle. Comme à Lyon, où nous avions déjà eu le privilège de l'entendre, on vient à regretter qu'après cet air, il soit tué dans le duel qui l'oppose à Onéguine, privant le public du plus beau des Lenski.

Cette coproduction du Metropolitan Opera de New-York voit la mise en scène de , pour l'occasion, laissée dans les mains de la metteure en scène américaine Paula Suozzi. Elle y conserve l'esthétisme agréable. La patte de Carsen. On sait formidable directeur d'acteurs. Dans ce décor souvent nu, privé d'accessoires, une direction d'acteurs de chaque instants s'avère nécessaire pour crédibiliser l'intrigue. A Genève, même si Carsen est venu signer son spectacle sur le devant de la scène, à l'évidence, il ne s'est pas occupé des acteurs sinon, il aurait réussi à ce que la plupart des protagonistes du plateau soient plus en situation de s'investir dans l'intrigue qu'ils ne l'ont laissé paraître.

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A l'image de la soprano (Tatiana) dont la jolie voix ne suffit pas à en faire l'héroïne de ce drame. Certes, elle exécute ce qu'on lui a dit de faire mais elle n'est pour autant pas le personnage. Dans la scène de la lettre, alors qu'elle livre ses sentiments à Onéguine, en transgressant les bonnes mœurs de la société, on la voit tranquillement assise à sa table s'appliquant à l'écriture alors qu'on l'attend exaltée, aveuglée, au bord de la folie, dévorée par le feu de l'émotion amoureuse. Le public ne s'y trompe pas quand, au terme de son air, il applaudit (un peu mollement) la belle musique de Tchaïkovski plutôt que son interprétation.

De son côté, le baryton (Onéguine) n'est pas le dandy voulu par le livret. Malgré une voix au timbre affirmé (qui conviendrait en l'espèce plus à un Conte di Luna), sa ligne de chant heurtée en fait un Onéguine peu élégant et sans charisme. Par manque de direction d'acteurs propre au chanteur, dans sa scène finale avec Tatiana, alors qu'il cherche à reconquérir la femme qu'il avait humiliée, il exprime son remords dans une série de gestes de désespoir saccadés et pathétiques totalement inadaptés à la situation.

Par contre, parmi les autres protagonistes, la mezzo russe Irina Shishkova (Olga) se montre très à l'aise dans un rôle qu'elle possède tant vocalement que théâtralement. Se mouvant avec grâce, la chaleur de sa fort belle voix fait merveille. On retrouve avec émotion le ténor argentin (Monsieur Triquet) dont la courte apparition laisse entrevoir le bel artiste qu'il est encore malgré l'inévitable usure des ans. Sa sérénade chantée avec le charme d'un vieux monsieur toujours amoureux de sa pupille était touchante de sincérité.

Dans son air signifiant à Onéguine qu'il aime éperdument Tatiana, la basse Vitalij Kowaljow (Le prince Gremine) en possède toutes les notes. Cependant, il ne semble aucunement concerné par l'intensité du propos. Dommage, la cantilène est si belle !

Si le Chœur du Grand Théâtre est apparu moins bien préparé qu'à l'habitude quand bien même il faut admettre les grandes difficultés de la partition chorale, l'Orchestre de la Suisse Romande dirigé par la baguette précise de s'est fait convaincant malgré quelques légers et rares décalages entre la scène et la fosse.

Au moment des saluts, c'est le Lenski d' qui a empoché à juste titre les plus chaleureuses ovations du public.

Crédit photographique : (Tatiana),  (Onéguine) ; (Onéguine), Edgaras Montvidas (Lenski), Irina Shishkova (Olga) © Carole Parodi/GTG

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