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Les Tableaux d’une exposition si français et la Valse de Ravel si viennoise

Associer l'orchestration des Tableaux d'une Exposition à La Valse est audacieux et, finalement, payant. Instruments d'époque, cordes en boyaux, relecture d'après la nouvelle et remarquable Ravel Édition… Les Siècles ne ménagent pas leurs efforts afin de poursuivre leur belle intégrale de l'œuvre du compositeur français.

Responsable de la Ravel Édition, nous décrit en détail dans le livret, la genèse de la partition des Tableaux d'une Exposition, de sa première exécution en 1922 – Koussevitzky disposait alors de l'exclusivité – à l'édition de 1929. La présente édition corrige certaines fautes et associe diverses sources tout en gardant un œil sur la version originale pour piano de 1874. Un travail nécessaire sur lequel le chef d'orchestre et pianiste nous confiait, il y a quelques années, avoir réalisé son propre matériel, à défaut de disposer d'une révision, refusée par l'éditeur français.

Questionnez un musicien russe à propos de l'orchestration des Tableaux d'une Exposition. Il la trouvera sublime, mais il avouera certainement qu'elle est un peu trop française à son goût… Et c'est précisément le constat que nous faisons à l'écoute de cette version. La simplicité et la clarté dominent la lecture des Siècles. Nulle emphase, attaques millimétrées, timbres contrôlés… A vouloir trop décanter Gnomus, ce personnage difforme et à la démarche grotesque, on lui soustrait sa cruauté. Le phrasé des cordes assez court favorise un changement de couleurs et de rythmes plus saccadé. Chaque partie de l'œuvre semble dissociée au point que les Promenades ne réalisent plus nécessairement les « ponts » entre les tableaux. La mosaïque sonore ainsi créée prend forme lentement. Il Vecchio Castello paraît sans véritable épaisseur. La plastique sonore des Tuileries surgit, par contraste, tellement « française », néoclassique, presque. Moussorgski s'estompe sous la finesse du pinceau de Ravel. Les scintillements si précis des cordes de Bydlo font songer à l'écriture de Respighi (lequel étudia auprès de Rimski-Korsakov). Là encore, on regrette une projection sonore un peu courte. Le charmant babillage, mais sans humour et bien peu de fantaisie du Ballet des poussins dans leurs coques dévoile, en revanche, un tissu orchestral splendide : les contrechants des cordes, les dialogues entre les bois offrent un délice de timbres ! Le Marché de Limoges est à marquer d'une pierre blanche. Les Siècles en donnent une lecture expressionniste, restituant avec une saveur qui aurait certainement enthousiasmé Moussorgski, une dispute entre deux femmes. Baba Yaga, cet allegro con brio, feroce, décrit le lieu de l'horrible sorcière que craignent tant les enfants russes. Ce scherzo diabolique rappelle la Nuit de la Saint-Jean sur le Mont-Chauve, première mouture de la célèbre pièce symphonique de Moussorgski. Batterie, cuivres, traits descendants des cordes exploitent la finesse de l'orchestration plus française que slave, assurément. Tout comme la Grande porte de Kiev qui suggère la grandeur d'une Russie éternelle et dont la Scène du Couronnement de Boris Godounov reste dans tous les esprits. Le matériau sonore dont dispose est rutilant jusque dans les cloches. On aurait aimé que le souci de clarté s'estompât devant l'ivresse d'un sol se dérobant sous nos pieds.

Toutes les qualités exploitées dans les Tableaux d'une exposition sont magnifiées dans La Valse, enthousiasmante. La qualité de l'étagement des plans sonore ne contrarie pas la pulsation naturelle de la danse. La finesse de l'interprétation exploite la sensualité de cette « ultime » valse. Elle nous paraît infiniment viennoise et, plus exactement, mahlérienne. Le poison distillé dans les harmonies ravéliennes joue sur deux plans inconciliables : la noblesse de la danse et la trivialité des pas. Les instruments parfois à contre-emploi comme ces harpes “percussives”, ces bois qui “hurlent” jusqu'à donner une impression de chaos, tout semble osciller entre l'ordre et la désinvolture, la caresse devenue une gifle. Maîtriser la laideur : tel est le prix de la beauté nous révèlent les interprètes. De fait, voilà l'une des versions les plus intéressantes et personnelles au sein d'une immense discographie. Elle complète les legs « classiques » de (Sony), (Mercury), (Deutsche Grammophon), , (RCA), (Decca)… Quant aux Tableaux d'une exposition, Les Siècles s'imposent devant la lecture d' (Alpha Classics), la seule qui leur soit directement comparable. Dans cette parution, on ne regrettera que la durée vraiment trop courte du disque.

 

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