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Benvenuto Cellini par Gardiner : une nouvelle revanche pour Berlioz ?

Notre époque est-elle enfin prête pour le premier opéra de Berlioz ? En tout cas, ses interprètes le sont.

Benvenuto Cellini dépassa tous les interprètes de sa création. Duprez, créateur du rôle-titre, trop occupé par sa quête des applaudissements (Berlioz le tacla en lui composant in extremis La Gloire était ma seule idole), quitta très tôt le navire. Le capitaine, le chef François-Antoine Habeneck, souffrait déjà du mal de mer berliozien, une nef des fous tanguant de surcroît sous la censure cléricale: pas question de représenter en scène le Pape Clément VII!

Ce temps-là est bien loin. Bien loin également le temps de la seule « erreur » berliozienne (1972) de l'immense Colin Davis qui grava par deux fois une magnifique mais vaine « version Weimar » avec des dialogues parlés et 20 minutes de musique en moins! Avec John Nelson (et la v.o. de sa formidable réussite discographique de 2004), avec François-Xavier Roth et (respectivement La Côte Saint-André 2016 et 2019), avec , n'ont dorénavant qu'à bien se tenir ceux qui oseraient encore, comme à l'époque, moquer le bouillonnant chef-d'œuvre : « Malvenuto ».

Une semaine après l'extraordinaire concert du Festival Berlioz 2019 donné par le chef anglais dans la ville natale du compositeur, l'Opéra Royal de Versailles accueillait l' et le pour une soirée où l'on retrouve les atouts d'une version qui fera date : le retour à la création d'un opéra ne trébuchant plus sur des dialogues parlés que n'avait jamais écrits le compositeur, la perfection de la direction, d'une rythmicité diabolique, comme de la distribution, idéale.

La Teresa de , excellente comédienne, un peu frêle de projection dans la Cour du Château Louis XI de La Côte, s'avère ici de bout en bout délicieuse, en état de grâce dans les duos : avec le Benvenuto de , bouleversant et impressionnant jusque dans la gestion infernale des chausse-trappe d'un rôle où le surhumain malmène l'humain, avec l'Ascanio opulent d'une inconnue devenue en quelques mois nouvelle valeur sûre du chant français, Adèle Charvet (leur Prière du II devient ici une des plus belles pages en apesanteur de Berlioz). Le Fieramosca hilarant de Lionel Lhote, le Balducci bonhomme à souhait de Maurizio Muraro, le Pape inoffensif et débonnaire de , le Bernardino grandiose d'Ashley Riches, tous s'allient avec talent à l'autre personnage principal : un des grands jours, d'une communicative souplesse musicale et scénique.

Dommage que tant d'excellence musicale se voie contrariée. À l'image, par un inexplicable faux-raccord au moment où le Pape s'endort sur l'épaule de Gardiner, par quelques plans assassins sur des chanteurs pris en flagrant délit d'inarticulation. À la prise de son, par de fugaces scories, sur notre exemplaire, en fin d'Acte II. Mais surtout par un regret de taille : que Berlioz soit une fois encore condamné à la mise en espace. Il est vrai que Benvenuto a également dépassé nombre de metteurs en scène talentueux. Moshe Leiser et Patrice Caurier, après de géniaux Troyens, ont été bien scolaires. Terry Gilliam, sans surprise (DVD Naxos). Reste l'originale tentative de Renaud Doucet à Strasbourg en 2006. Philip Stölzl en 2007 à Salzbourg (DVD Naxos), iconoclaste forcément, et bien que desservi par les coups de ciseaux de Gergiev, reste à ce jour, en terme de bouillonnement créatif, le plus typiquement berliozien. Château de Versailles Spectacles immortalise une interprétation musicale de premier ordre mais aussi une mise en espace qui, bien que vive et légère, bien qu'installée devant Le Palais de marbre rehaussé d'or, la toile de Pierre-Luc Charles Cicéri peinte en 1837 (soit un an avant la création de Benvenuto), n'en est pas moins qu'un pis-aller. Si l'on s'en tient à ce DVD, Berlioz n'est donc qu'à demi-vengé.

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