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Superbe versant estival namurois des festivals de Wallonie 2021

Après une édition 2020 inexorablement réduite à une peau de chagrin, le Festival de Wallonie à Namur reprend, en ce début juillet, avec force et vigueur et avec une programmation riche et variée et d'une imparable qualité artistique. 


Par les hasards du calendrier footballistique et en prévision des possibles caprices météorologiques, les organisateurs ont délaissé à regret le paisible « théâtre de verdure» sur le site de la Citadelle mosane, et modifié certaines heures de programmation de la joute musicale augurale. Ainsi, malheureusement, nous ne pouvons assister à la confrontation par delà les siècles des mondes sonores de Claudio Monteverdi et d'Astor Piazzolla, qui eût été centenaire cette année telle qu'envisagée par le Millenium orchestra de .

L'éternel retour à Josquin Desprez de l'ensenble Clément Janequin

L', dirigé depuis sa création en 1978 par le haute-contre , vit ces dernières années une seconde jeunesse par la totale refonte de ses effectifs. Si le « grain » des voix demeure similaire aujourd'hui, les timbres apparaissent globalement mieux accordés pour un résultat global des plus probants, plus modelé, ductile et varié dans son expression. La venue au pupitre d'alto d'Anaïs Bertrand apporte une douceur pastel à un éclairage polyphonique bien moins cru qu'autrefois.

En cette année célébrant le demi-millénaire de la disparition de Josquin Desprez, l'ensemble puise ce soir l'essentiel du programme dans le Septiesme Livre de Chansons, auquel il a consacré récemment un fort beau disque chez Ricercar. Cette sélection donne une image assez complète du versant profane de la production du maître franco-flamand avec une inspiration partagée entre les affres des Mille regretz infligés par une mélancolie douloureuse, voire dépressive (Ma bouche rit mais mon cœur pleure) et une humeur vagabonde, plaisamment grivoise ou gentiment misogyne et moqueuse (Petite Camusette, Allégez moi, Faulte d'argent), prémices des créations bipolaires d'un Lassus un demi-siècle plus tard. Josquin, par les fastes de l'écriture, s'avère aussi exigeant dans ses brèves chansons que dans ses grandes messes, avec par exemple ces canons subtilement enfouis à l'audition mais moteurs souterrains de l'écriture.

Pour varier les plaisirs nos artistes ont retenu aussi deux frottole italiennes quasi bruitistes (les célèbres El Grillo et Scaramella), et laissent aussi leurs excellents accompagnateurs Eric Bellocq au luth, et Yoann Moulin à l'épinette ou à l'orgue positif, s'exprimer librement. Nous pouvons ainsi goûter aux charmes de la Bernardina, rare pièce instrumentale connue du maître, et à ceux de deux adaptations instrumentales de Mille regretz, véritable « tube » renaissant dont l'ensemble donne en bis, une version poétiquement amplifiée, sur base de l'originale josquinien, signée Nicolas Gombert.

La voix, théâtre des passions humaines

En cette fin de week-end, on retrouve avec plaisir Sophie Karthaüser. Au fil d'un véritable récital-pasticcio mêlant les Nozze di Figaro, Don Giovanni, Cosi fan Tutte ou Die zauberflöte, elle est par ailleurs une surprenante Butterfly – dans le célébrissime « Un bel di, vedremo » ou impériale Marguerite dans l'air des bijoux de Faust. La soprano se montre d'une confondante aisance, d'un à-propos redoutable et affiche une étonnante complicité avec son partenaire du jour, le très prometteur baryton , remarqué cette saison, entre autres, pour ses prestations de haute tenue à l'O.R.W ou de la Monnaie. Certes, ce tout jeune homme au timbre frais et spontané, manque encore un peu d'assises dans le grave et de plénitude dans l'aigu : il s'impose d'avantage sans doute en Papageno énamouré qu'en Leporello perfide énumérateur de l'air du catalogue, en Comte calculateur ou en écrasant Don Giovanni, par un certain manque de projection, de présence virile et d'implication dramatique. De ce point de vue, les couplets bachiques extraits de l'Hamlet d', ou le grand air d'Escamillo dans la Carmen de Bizet, nous semblent mieux sentis. Accordons une mention spéciale à la pianiste Stéphanie Salmin qui assure une presque parfaite réplique au fil de tout ce programme, en trouvant à chaque fois le ton juste, le parfait climat et les couleurs idoines, pour évoquer par le seul clavier les fastes de tout un orchestre de fosse.

La veillée autour d'un songe d'une nuit vénitienne constitue le clou de la soirée. Déjà longuement rodé depuis des années dans toute l'Europe et proposé par une de réduite cette fois à l'essentiel, soit un simple effectif continuiste avec outre le claviériste argentin, Quito Gato à la guitare ancienne ou au théorbe et Martin Bauer à la viole de gambe, ce patchwork met en lumière, au plus profonds des ténèbres nocturnes gagnant peu à peu l' église Saint-Loup, le tempérament de feu de l'exceptionnelle soprano Mariana Florès. Sa prestation passionnée se voudra évocation tantôt suave tantôt rageuse de tous les tourments de l'âme. Il s'agit ici de rendre hommage aux vertus expressives de la seconda prattica par les fastes de somptueuses monodies pourtant sobrement accompagnées. Sur le plan musicologique c'est plus un périple spirituel et musical de Rome à la Sérénissime au fil du XVIIᵉ siècle, où le précurseur Giulio Caccini (sublime Amarilli mia bella augurale) rencontre un Frescobaldi vocalement inspiré et moins attendu, et où l'immense Monteverdi, juste retenu pour le bref Voglio de vita uscir, tend la main à ses héritiers spirituels par delà les lustres : Francesco Cavalli et Barbari Strozzi dont les deux longs et intenses lamenti arc-boutent ce somptueux récital servi par l'engagement esthétique et poétique des interprètes, ponctué par le poignant Che si puo fare de la compositrice vénitienne.


Des joutes violonistiques entre monde latin et germanique

Le mardi 7 juillet, y va d'une exploration quasi philologique du répertoire violonistique en Germanie baroque. Elle remonte, en compagnie de , et du violoncelliste Balasz Maté, à la source du mouvement : l'installation du Mantouan Carlo Farina à Vienne, point d'ancrage d'une importante école de virtuosité et de composition dédiée à l'instrument. Son attachante sonate autoportrait La Farina, témoigne tant d'une tendre autodérision que d'une synthèse des moyens expressifs et de la technique instrumentale en cette première moitié du XVIIᵉ siècle.

Au fil du récital, la violoniste arpente les divers facettes expressives et rhétoriques d'un genre alors en pleine expérimentation, avec une variété d'approches, une liberté de ton, un art consommé de la sonorité et un total engagement expressif mi-angélique mi-démoniaque… Ce qui nous vaut une surprenante introduction en la matière, avec cette Imitazione delle campanella de Johann Paul von Westhoff jouée depuis la chaire de vérité, ou plus avant avec une héroïque sonate représentative Victori der Christen entre battaglia et lamento de Andréas Anton Schmelzer (le fils de Johan Heinrich) évoquant le triomphe des Autrichiens sur les Ottomans lors du siège de Vienne en 1683. Cette confrontation de différents styles d'écriture juxtaposent des affekts opposés et des esthétiques antinomiques, entre par exemple un George Muffat, Européen avant la lettre par son chemin de vie, partisan d'une réunion des goûts au fil de sa seule sonate pour violon qui nous soit parvenue, et Johann Jakob Walther avec sa passacaille de sa sixième sonate : cette plage au gré de l'invariant de la basse continue suggère par toutes ses ruptures discursives et sa libre faconde l'avènement du style phantasticus d'Allemagne du Nord. La virtuosité assez débridée de ces pièces est exacerbée par l'imagination sans borne de notre soliste, laquelle magnifie ces textes de subites ruptures de tempi ou d'éloquents silences.

En seconde partie, le programme se concentre essentiellement sur la personnalité de Johann Sebastian Bach avec des œuvres peu fréquentées pour violon et basse continue, laissées aujourd'hui dans l'ombre du cycle des six sonates pour violon. Le seul clavecin Bwv 1014 à 1019, n'appelle que des éloges : en digne héritière spirituelle de son maître Reinhard Goebel, taille une version altière et presque hautaine de la très austère Fugue Bwv 1026, mais se montre d'une féline finesse d'articulation au fil de la Sonate en mi mineur Bwv 1023, encore marquée par l'esprit de la suite de danses, avant de conclure en splendide apothéose par la méconnue Sonate à l'italienne en sol majeur Bwv 1021.

Le lendemain, , décliné dans sa version a quattro, avec les violonistes Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche et la violoncelliste Hanna Salzenstein autour du claveciniste , présente en avant-première le programme de son prochain disque à paraître à l'automne prochain : un Duel à Venise. Il s'agit d'évoquer la probable joute violonistique qui, à la manière d'un tournoi de virtuosité et de musicalité, aurait opposé en la Sérénissime Antonio Vivaldi et son cadet de trois ans Giovanni Battista Reali. A vrai dire, on ne connaît peu de choses de la vie et de l'œuvre de ce dernier à part une date supposée de décès, et côté catalogue, une vingtaine de sonates reparties en deux opus publiées par Giuseppe Sala aux alentours de 1710, outre quelques Sinfonie. Si les sonates des deux compositeurs adoptent la même coupe formelle, et si Reali y fait preuve d'une réelle inventivité sur le le plan de la rythmique et la virtuosité, le prêtre roux agence globalement mieux ses effets au sein d'architectures bien plus équilibrées. Les deux Folia sont significatives à cet égard : celle de Vivaldi emporte haut la main la palme par son exubérance, et par l'imprévisibilité de ses ruptures. L'on peut compter sur l'enthousiasme ravageur de ces jeunes interprètes surdoués et polyvalents, déjà fêtés entre autres pour leur splendide disque Opus 1 (clef ResMusica) ou, en effectif plus étoffé, avec deux albums en compagnie de la fabuleuse soprano Eva Zaïcik. Ils dynamisent et dynamitent en permanence le discours, et donnent de ces œuvres, qui seraient plus vite évaporées sous des archets moins concernés, des versions ébouriffantes, débordantes d'énergie, mais toujours d'une précision d'articulation et d'une incisivité chirurgicales. nous gratifie par ailleurs d'une version quasi improvisée du célèbre andante du concerto pour hautbois d'Alessandro Marcello adapté à son instrument par Johann Sabastian Bach. La relève de l'interprétation baroque par cette jeune garde polyvalente et historiquement informée est décidément bien assurée avec ce Consort, très français dans un répertoire italien !

Crédits photographiques : Image de une, Mariana Florès © Laure Jacquemin / Venetian Centre for Baroque Music; et Leonardo García Alarcón autour du violon de Bach © Gilles Abegg

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