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À Genève, monumental et énigmatique Guerre et Paix

Ouverture de saison monumentale au Grand Théâtre de Genève avec Guerre et Paix de dans une mise en scène énigmatique de , fort heureusement sauvée par un plateau vocal d'excellence.


Vingt-huit chanteurs pour quarante-huit rôles différents, c'est dire si l'affaire est complexe. Pour un metteur en scène, il y a là de quoi se perdre. Tant dans la préparation que dans l'exécution de l'œuvre. Pour cet exercice, il ne fallait pas moins qu'un dont la réputation de directeur d'acteurs n'est plus à faire. Seulement voilà, outre la mise en place, encore faut-il raconter l'intrigue. Le metteur en scène prend une autre route que la simple concrétisation du livret. Il cherche à montrer, selon ses propres dires, non pas une guerre entre deux peuples mais celle que mène chaque individu contre lui-même. Vaste programme psychanalytique duquel ressort un magma scénique incompréhensible et chaotique. À force d'explorer l'intellect de ses personnages, oublie de nous guider dans les enjeux qui se jouent entre les protagonistes. Dès lors, on s'ingénie sans succès à décoder ses tableaux surréalistes de personnages se mouvant tels des astronautes recouverts de grandes feuilles de film alimentaire de polypropylène, ses combattants aux épées de carton enveloppées de papier d'aluminium ou ses boîtes à pizza qu'on utilise comme réflecteurs. Jusqu'à ses chutes de ballons jaunes qu'on crèvera un à un, ou ses combattants tout de blanc vêtus brandissant des néons verts pour chanter la grandeur de la Russie. Agrémenté par ces accessoires déroutants, l'attention du spectateur est fréquemment détournée du chant et de la musique par des actions parasites. À l'image de ces artistes qui, d'un grand sac, sortent des plots qu'ils se passent de mains en mains et assemblent patiemment pour construire ce qui sera une réplique miniature du théâtre du Bolchoï qui, une fois terminée, sera détruite d'un coup de pied.

La scénographie représente un boudoir du Musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, image d'une société russe d'art et d'esprit, reflet d'un ancien monde dénoncé par les projections vidéo volontairement agressives de Sarah Derendinger.


Musicalement, le plateau vocal s'avère de très haute qualité. En entendant le lumineux ténor Ales Briscein (Anatole Kouragine), c'est l'école russe du chant qu'on perçoit, avec ces voix portées très haut dans le masque sans que jamais elles ne soient nasales. Tout comme le ténor ukrainien (Platon Karataïev), le ténor tchèque agrémente immédiatement la scène avec une couleur typiquement russe jaillissant comme un soleil. On retrouve l'âme vocale russe dans la voix de la basse (Général Koutouzov) qui, seul assis à une table d'échec, lance sa longue réflexion sur la tactique à adopter devant le siège napoléonien de Moscou. Avec une voix ample, profonde et subtile, offre l'un des plus beaux moments de cette soirée. Quand il chante, plus rien d'autre que lui n'existe.

Quant aux autres protagonistes, ils ne déméritent pas. À commencer par le baryton Björn Bürger (Prince Andreï Bolkonski) qui signe une prestation sans faille devant l'impétueuse soprano arménienne (Natasha Rostova). Remarqué et remarquable, le ténor suédois (Comte Pierre Besoukhov) se donne sans compter tout au long de cette soirée.

Le se montre à la hauteur du plateau vocal qui l'entoure. Ses interventions sont en tous points admirables de précision. Et le triomphe que leur a réservé le public n'est aucunement démérité. Peut-être (mais la décision devait être celle du chef d'orchestre) aurait-on aimé moins de puissance projetée et plus de grandeur exprimée dans le chœur d'ouverture de l'épigraphe, cet hymne à la gloire du peuple russe. La force physique impressionne mais la grandeur de l'intériorité reste dévastatrice aux cœurs sensibles.

Dans la fosse, l' fait merveille dans une partition aux couleurs changeantes. Passant d'un lyrisme à l'italienne à la canonnade sonore et parfois grinçante des scènes guerrières, la phalange romande signe une très belle prestation sous la baguette impressionnante de précision du chef .

Crédits photographiques : © Carole Parodi/GTG

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