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À Genève, pauvres Pêcheurs, priez pour nous

Joli tour de passe-passe de la metteure en scène qui parasite l'intrigue des Pêcheurs de Perles de en la noyant dans un épisode de téléréalité.


Qui espérait voir l'opéra Les Pêcheurs de Perles de , cette histoire d'une amitié trahie, d'un serment violé, d'une jalousie indomptable, d'une mort des héros, en aura été pour ses frais. Certes le livret de ce troisième opéra du compositeur est bien mal ficelé. De même, hormis Hector Berlioz qui avait été touché par cette musique, les critiques de la première ne furent pas emballés par les pages de Bizet dont on disait qu'elles manquaient d'originalité et étaient encore empreintes des maîtres de la scène d'alors comme Gounod, Meyerbeer ou Verdi.

Alors, comment mettre en scène et présenter une œuvre qui, aujourd'hui plus qu'hier, apparaît surannée et dont l'intrigue se situe à Ceylan avec une caricature de personnages qu'il n'est plus politiquement correct de présenter selon les critères du XIXᵉ siècle ? Si la production présentée à Genève, transfuge du Theater an der Wien de Vienne révèle le talent de direction d'acteurs de la jeune néerlandaise (dont on a pu voir à Paris une Aida discutable), on contestera le parti-pris de la mise en scène. L'argument de l'opéra de Bizet est constamment détourné et parasité par une histoire parallèle. La metteure en scène déconstruit l'intrigue en la transposant dans le tournage d'une émission-concours de téléréalité du style Koh Lanta. Ainsi, elle noie habilement le poisson de l'aventure amoureuse caricaturale et tropicale derrière l'excitation de tout un monde de la télévision tournoyant autour des protagonistes. Le décor efficace de représente une plage de sable qu'on meuble de palmiers au hasard des besoins des scènes. A l'arrière, un grand disque sert à la fois d'écran aux projections vidéo du paysage, aux gros plans des protagonistes filmés depuis le bord de la scène ou à l'habitation des membres du qui suivent sur leur télévision l'émission qu'on est en train de tourner. Si le travail de direction d'acteurs tant des protagonistes, des équipes de tournage que des membres du chœur s'avère excellent, la distraction du spectateur au déroulé de l'opéra de Bizet est telle que, revient en mémoire les termes d'une critique de spectacle d'opéra parisien interrogé par l'écrivain et chroniqueur radio Philippe Meyer qui écrivait : « On avait peur que la musique dérange la mise en scène ! »

Parce que musique, il y a. Et quel charme l'habite. Avec Les Pêcheurs de Perles, compose en l'espace de quelques mois l'un de ses plus beaux opéras. La mélodie, pouvant aujourd'hui apparaître surannée tant elle respire le romantisme à-la-française enchante à chaque instant. Dès le début de l'opéra, le duo entre Zurga et Nadir emporte l'auditeur dans une romance qui devient obsessionnelle et dont il chantera la mélodie longtemps encore après que le rideau soit tombé.


Si sous la direction du chef français , l' est apparu bien terne et manquant singulièrement de couleurs, le s'inscrit dans l'excellence. Disséminé dans les étages du décors, il ne tombe jamais dans les approximations vocales, restant toujours précis et musical.

En scène, les quatre protagonistes de l'opéra sont à la hauteur de leur tâche avec une légère préférence pour le baryton norvégien (Zurga) dont on apprécie le timbre éclatant, la justesse de ton et surtout une diction française impeccable. A ses côtés, la basse britannique (Nourabad) fait aussi preuve d'une belle tenue vocale ainsi que d'une impeccable prononciation de la langue française. Le ténor canadien (Nadir) est apparu vocalement extrêmement fragile, une fragilité alliée de sensibilité excessive le poussant parfois à quelques problèmes de justesse comme dans la sublime cantilène « Je crois entendre encore ». La soprano russe (Leïla) possède un matériel vocal prêt à toute épreuve. Elle empoigne cette partition avec beaucoup de cran et de technique se jouant des difficultés sans coup férir. Toutefois, on lui regrettera une certaine froideur interprétative ainsi qu'une diction défaillante.

Enfin le public, comme entrainé inconsciemment dans la mystification d'une œuvre de répertoire, applaudit avec chaleur un spectacle dont l'apparat visuel cache la profondeur du message universel. Pauvres Pêcheurs, priez pour nous !

Crédit photographique : © GTG/Magali Dougados

Mis à jour le 13/12/2021 à 13h30

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