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Vincent Dumestre et la merveille Coronis

Les représentations avaient séduit. Le disque ensorcelle. A ceux que le mot même de zarzuela peut encourager à passer leur chemin, on ne peut que recommander l'acquisition de la Coronis de .

La zarzuela quésaco au juste? Les gourmets penseront ragoût de poisson, de crustacés et de calamars ; les mélomanes, espagnolade avec castagnettes obligées. La zarzuela est en fait l'ancêtre de l'opéra espagnol. C'est dans le Palais de la Zarzuela, résidence de chasse et de loisirs construite sous Philippe IV, que furent données, au XVIIᵉ, les premières zarzuelas, des spectacles alliant chant, théâtre, dialogues parlés, et dont le nom, dérivé des Fiestas de la Zarzuela, rappelait que le lieu de ces festivités avait été édifié sur un champ de ronces (en espagnol : zarzuelas).

La partition de Coronis a longtemps été anonyme. Ce n'est qu'en 2009 qu'en fut attribuée avec « un haut degré de certitude » la paternité. Animée d'une couleur que les musicologues Antoni Pons et Raúl Angulo avaient identifiée dans les œuvres de Durón, Coronis va plus loin que ce qui n'était alors qu'une manière de singspiel. Coronis (zarzuela en deux journées) est entièrement chantée. C'est un numéro de charme tous azimuts que le compositeur adressait à Philippe V, espérant éviter le probable exil consécutif à cette période de houleuse transition politique. Coronis et son trop-plein d'italianismes explosa le cadre de la zarzuela (jusqu'alors fondée sur des marqueurs d'une sensibilité toute ibérique) et fut, de ce fait, accusée de précipiter le déclin de la musique espagnole.

On a salué lors des représentations à Limoges en 2020 et à Paris cette année la beauté à l'état pur de chacun des numéros (une alternance d'airs généralement brefs et de chœurs dansant réunissant tous les solistes). Durón met en musique les emprises divines respectives d'Apollon et de Neptune sur la belle nymphe Coronis et, par-delà, la guerre de succession, en 1705, d'une Espagne tenaillée entre France et Angleterre. Les airs dévolus à la nymphe Coronis offrent à Anas Quintans une nouvelle occasion de faire entendre le fruité d'un timbre qui est ici de pur enchantement. Le reste de la distribution est un quasi-gynécée de mezzos, toutes impeccables bien que presque interchangeables (, Marielou Jacquart, ). Le Neptune de est plus identifiable. Les graves masculins dont joue dans les superbes parties dévolues à son Triton (ineffable Decidme, plantas) permettent à la chanteuse de camper le personnage le plus touchant de la partition. La palme de la virilité revient au contralto d'Anthea Pichanik dont le Menandro se reconnaît à la moindre syllabe (merveilleux duettino de la Secunda Jornada). Seul homme de la distribution (si l'on excepte dont le ténor complète le chœur des solistes), le Protée clair de , tout aussi gâté que ces dames par le compositeur qui le gratifie d'un Vuestro llanto humilde pretenda regar dont la mélodie, aussi belle que brève, va droit au cœur.

L'interprétation de et de son fabuleux Poème Harmonique est au sommet. La prise de son Alpha, au dosage miraculeux, n'est pas en reste, qui capte tout du merveilleux instrumentarium (que les espagnophiles se rassurent : à côté du théorbe, de la harpe et du clavecin, il y a aussi une guitare et des castagnettes dans Coronis !) réuni par un des chefs les plus passionnants du monde baroque.

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