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Le Philhar et Pascal Rophé en ouverture du week-end Xenakis à Radio France

Les meilleures conditions étaient réunies, solistes prestigieux, Chœur et en grande forme sous la direction de pour lancer le week-end Xenakis de la Maison ronde.

Au programme de ce week-end-anniversaire fêtant le centenaire de la naissance de Iannis Xenakis, sont inscrites des œuvres pour orchestre, orchestre et chœur et percussions de cet « architecte des sons » que fut Xenakis, ainsi que des créations, commandes de Radio France passées à , Philippe Manoury et Bastien David qui s'échelonneront durant les trois journées de la manifestation.

 

Pour l'heure, c'est une page aérienne et toute en couleurs qui débute la soirée, celle du jeune Stravinsky composant en 1907-1908 son Scherzo fantastique nécessitant rien moins que trois harpes et un célesta dans un orchestre où les bois vont par quatre. La pièce est encore sous influence, qui n'en révèle pas moins une science de l'orchestration acquise chez son maître Rimsky Korsakov et l'importance du timbre (solistes en relai, cors bouchés) servant ici la trame narrative. Le courant passe entre les pupitres sous le geste fluide de qui donne à cet opus 3 fort prometteur tout son charme et sa légèreté elfique… Avant le tellurique Keqrops (1985-1986) de , combat de Titans engagé entre le piano du Britannique et l'Orchestre Philharmonique au grand complet (93 instruments) sous l'arbitrage ô combien vigilant et héroïque, de . C'est le « troisième concerto » pour piano du compositeur, après Erikhthon et Synaphaï, une pièce toute en tension, déferlements et entre-chocs où le soliste doit lutter contre des forces extérieures envahissantes. La frustration est très xénakienne, dans une entrée en matière musclée où l'on voit jouer le pianiste avec l'engagement physique requis sans pour autant réussir à l'entendre ! Xenakis lui ménage cependant plusieurs plages solistes, martèlement de blocs-accords ou jaillissements virtuoses de traits balayant les registres en mouvements contraires. La fidélité au texte compte moins que l'intensité du jeu et l'embrasement sonore du clavier. Les reprises de l'orchestre sont toujours impressionnantes, Xenakis procédant par familles instrumentales : autant de strates puissantes, cordes conquérantes, flux énergétiques des cuivres, textures inouïes des bois (quasi électronique), qui se juxtaposent ou glissent en tuilage. Le geste xénakien est puissant autant que magistral, organisant le chaos avec une hauteur de vue vertigineuse. Celui de Pascal Rophé ne l'est pas moins, qui contrôle les équilibres et confère à l'écriture une plasticité étonnante.

Commande de Radio France et de Buffet Crampon, le Concerto pour hautbois de est donné en création mondiale en début de seconde partie. C'est , soliste du « Philharmonique », qui est sur le devant de la scène au côté d'un orchestre à la Mozart (les vents par deux) dans une œuvre qui met particulièrement en jeu l'équilibre des forces, étant donné le peu de volume sonore d'un hautbois. Riche idée de la part de Hurel de solliciter le recours des deux hautboïstes de l'orchestre qui, debout au début du concerto, jouent avec la soliste en quasi doublure dans un effet d'amplification. On a d'emblée ce profil rythmique tout en rebonds qu'aime instaurer le compositeur, mettant toujours la soliste en avant, relayée par un orchestre qui en diffracte le son et projette de somptueuses images spectrales. La partie de hautbois est d'une virtuosité insensée, mêlant profil microtonal et sons multiphoniques, sans jamais déstabiliser notre soliste dont le timbre irradie l'espace de résonance. Sa cadence fait appel de nouveau aux deux hautboïstes du rang qui jouent cette fois en écho pour réverbérer la partie soliste. On y entend également ce léger infléchissement du son, fréquent dans le jazz et d'origine vocale, une figure singulière qui apparaît dans cette cadence et que la soliste reprendra à la toute fin de la partition pour terminer avec beaucoup de finesse et de subtilité, ce superbe concerto.

 

Le est placé sur les gradins de l'arrière-scène pour Nekuia (1982), pièce sombre et non moins impressionnante que la première, de . C'est une grande déploration sur la mort dont le thème hante ses partitions des années 1970-80. Le compositeur a recours à plusieurs sources littéraires (Chant XI de l'Odyssée, Écoute de Françoise Xenakis, Siebenkäs de Jean-Paul Richter) dont il ne prélève que quelques phrases, jouant également avec les phonèmes et voyelles, telles qu'elles étaient utilisées dans certains cultes archaïques. L'œuvre bascule dans la tragédie antique, avec ce chant aux allures de supplique, donné au tout début de l'œuvre par les cordes et les vents en homorythmie. Un rôle important est accordé à la percussion qui cerne le temps et entraîne dans son sillage les familles instrumentales. Le chœur et l'orchestre semblent relever du même traitement sonore et interagissent, entre scansions, appels, cris, conjuguant leur énergie dans de vibrants effets de tutti jusqu'à cette saturation de l'espace sonore sonore des dernières minutes. La partie vocale, qui ménage à plusieurs reprises des interventions solistes, rappelle certains passages de Nuits. L'écriture est exigeante, inventive, inattendue mais toujours d'une intense force d'expression.

On salue tout à la fois la performance du chœur, superbement préparé par , et la réactivité de l'Orchestre Philharmonique tenu de main de maître par un chef, Pascal Rophé, qui n'a pas son égal pour faire passer l'élan et l'envergure visionnaire de l'univers sonore xénakien appréhendé à travers les grands déploiements orchestraux.

Crédits photographiques : © François Daburon

 

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