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Brillant et burlesque Barbier de Séville à Bastille

Donné à l'Opéra national de Paris pour la première fois en 2014, Le Barbier de Séville de dans la mise en scène de revient à Bastille avec ses couleurs bigarrées, sa saveur du sud et sa musique d'une vitalité irrépressible.

Dans la salle encore éclairée, la musique de l'ouverture qui retentit depuis la fosse sous la baguette de , vient comme un arc-en-ciel effacer le bruit de la pluie qui tombe à seaux dehors. La soirée s'annonce lumineuse, par la douce brillance que le chef donne à cette entrée en matière orchestrale.Tout au long de la représentation, la musique aura cette présence subtile, légère, enjouée, mise en valeur par une direction raffinée, alliée des voix épanouies des solistes, jusque dans les épisodes les plus burlesques et virevoltants. 

Lever de rideau tandis que la pénombre se fait dans la salle. Une grande façade crépie d'ocre jaune occupe toute la largeur de la scène. Gouttières en zinc, balcons surplombés de stores rayés, linges qui sèchent, paraboles et climatiseurs, jalousies de bois, le décor conçu par Paolo Fantin nous indique que nous sommes dans un quartier populaire d'une ville du sud. Séville ? Oui dans le livret, mais ici pas celle prisée du touriste. Une Séville contemporaine qui tient de l'Espagne d'Almodovar, référence du metteur en scène, à travers le prisme du cinéma italien des années 1970 (on pense aux films d'Ettore Scola, de Dino Risi, ou de Luigi Comencini). 

Il y fait chaud, même au cœur de la nuit, à en juger par les mises débraillées, et les postures des habitants prenant le frais aux balcons, ou sirotant une canette à la terrasse du bar du coin, le Barracuda. Le Comte d'Almaviva incarné par René Barbera, apparaît ainsi, en bermuda et baskets pour chanter son aubade sous le balcon de Rosine, accompagné par de drôles de sbires, juché sur sa voiture bleu rutilant garée devant le panneau de stationnement interdit. Entonnant à pleine voix son « Largo al factotum » Figaro () arrive ensuite, tiré à quatre épingles, charmeur, avec son allure de dandy. Barbier doué pour tirer les ficelles moyennant quelques billets, il actionne le décor qui pivote sur lui-même montrant l'intérieur de l'immeuble où vivent Rosine et son tuteur Bartolo, ainsi que leur vieille femme de chambre Berta. Ordre social bousculé, inversion des codes, argent roi qui fait et défait, circulant d'un personnage à l'autre, ou autour de ceux-ci…tout cela est montré pour la liberté de l'amour qui est au bout du compte la valeur phare de cette fable-divertissement : Rosine finit par échapper à l'emprise abusive de son tuteur, figure patriarcale, pour se marier avec l'élu de son cœur. Dans les couleurs audacieuses des décors, comme celles des costumes de Silvia Aymonino, la mise en scène croustillante et dynamique de ne procure aucun ennui, mettant en mouvement tout ce petit monde, par le moyen des deux escaliers notamment, chanteurs et figurants tous très à l'aise et expressifs dans leur gestuelle. Dans un esprit de gaité et de fantaisie, elle associe burlesque et brio et multiplie les touches d'humour. Les papiers sous toutes leurs formes en font partie : la contravention déchirée en mesure par Almaviva, les unes de journaux calomniant le comte distribuées en pluie, les bandes de la machine à calculer de Bartolo arrachées par Figaro, les billets de Rosine et le poster de son idole qu'elle décroche puis recolle sur la porte de sa chambre… 

La distribution est sans faille. René Barbera en Comte d'Almaviva, rompu au rôle, commence piano piano, presque couvert par l'orchestre, puis prend son envol déployant toute la palette de son timbre solaire. Dès sa première apparition, le baryton campe un Figaro qui ne manque pas de piment, tant dans son jeu très mobile que dans sa voix et sa diction. Quelle présence, quelle énergie ! Le Bartolo de est cet homme déterminé, possessif, soupçonneux et grognon à souhait, dont la voix large et sombre dans les graves, se mue habilement en voix de falsetto lorsqu'il parodie, et marmonne à toute vitesse dans les airs rapides. donne au personnage de Bazile, le maître de musique, tout son caractère, vile et prêt à tout pour quelques billets : son air de la Calomnie est remarquablement distillé. La mezzo-soprano prête à Rosine sa voix ronde, aux graves imposants et aux aigus superbement projetés, passant d'un registre à l'autre avec souplesse et facilité, vocalisant avec tout autant d'aisance. Elle est une Rosine rebelle, au tempérament bien affirmé, dans son attitude comme dans sa tenue vestimentaire. au timbre particulièrement lumineux dans les aigus, donne à Berta, de sa voix très vibrée, une humeur exaspérée à souhait dans son air « Que vecchio sospettoso… ». Le baryton (Fiorello) et la basse (l'officier) sont parfaits dans leurs rôles. Pour finir, une mention particulière au piano forte de , qui ponctue les récitatifs avec finesse et piquant, voire humour, auquel il ne faut pas manquer de tendre une oreille. 

Crédits photographiques : © Elisa Haberer /Opéra national de Paris

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