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La Tempête au festival Voce Humana : de la beauté du geste à la beauté du son

éblouit une nouvelle fois avec Hypnos, requiem imaginaire de plusieurs siècles de musique.

Peut-on imaginer plus parfaites cartes d'identité pour Voce Humana que le concert inaugural de Marie Perbost et celui de La Tempête ? Le festival vocal rêvé depuis 15 ans par Olivier Rault (« la voix dans tous ses éclats ») referme son édition 2022 avec une clôture aussi sombre que son ouverture était lumineuse.

Hypnos, frère jumeau de Thanatos, est le dieu du sommeil. Hypnos est le nouveau rituel sur lequel , de son beau geste d'artisan de la musique, fait résonner le souffle de sa Tempête. Du copieux catalogue dédié à la cause, plutôt que les incontournables du genre, le chef de La Tempête a préféré concevoir son propre requiem, un requiem imaginaire traversant l'Histoire de la musique, du Moyen Âge au XXIe siècle. Environnés de quelques bourdons des églises de Rome et Milan, , , , , , , , , , , sont ainsi conviés à prendre en charge, de l'Introït à l'Agnus Dei, chacune des stations qui sont l'ordinaire des requiem. Se voit ainsi refondée une messe des morts inédite et, contre toute attente, d'une unité qu'on ne contestera à aucun moment, même pas celui de l'expérimentation scelsienne. Le tempo du concert ne se départ jamais d'une langueur extrême, étirée au maximum, que l'on imagine volontiers être celle précédant « la douce mort » advenant au terme d'une vie bien remplie.

Huit chanteurs (deux par partie) et même neuf, donnant aussi de sa personne, de sa voix de baryténor, sur les intonations. Deux instrumentistes ( au cornet à bouquin, au serpent remplaçant d'un soir de la clarinette basse du CD paru en 2021). L'on oublie d'emblée le spartiate de l'effectif, pour l'occasion réduit à l'os, de l'ensemble fondé en 2015. Lorsque cornet et serpent s'invitent dans le régime a cappella (à la façon dont Jan Garbarek avait de son saxophone surligné la Missa pro Defunctis de Cristobal de Morales par le Hilliard Ensemble), le son, déjà d'une grande beauté, s'enrichit d'une profondeur qui plonge au fond de l'âme.

Un son qui émerge de la nuit qui penche déjà sur l'église Saint-Jean-du-Baly de Lannion et que magnifie progressivement une poignée de cierges électriques. On reconnaît les néons qui, dans Stabat Mater, étaient placés dans le chœur et qui, pour Hypnos, sont aussi disposés dans le public lui-même, qu'un dispositif quadri-frontal réunit autour du point névralgique de la soirée : sous la chaire un éblouissant cercle de lumière. Attirés là comme des phalènes, musiciens et chef n'en délaissent pas moins régulièrement cet endroit stratégique pour s'en aller tracer, dans l'église, lieu aux possibilités acoustiques infinies, des lignes physiques et vocales se rapprochant, s'éloignant, une heure et demi durant, du public. La démarche atteint des sommets au moment du Da pacem, Domine qu' composa en 2004 à la mémoire des victimes des attentats de Madrid (et que Lionel Sow redonna en 2016 au moment de ceux de Paris) : seul au centre de l'église, Simon-Pierre Bestion dirige huit voix invisibles dont la lente giration le long des murs de l'église agit sur une assistance peu à peu sous l'emprise de la beauté du geste et du son émis par chacun des musiciens, la voix de soprano faisant à elle seule monter les larmes. Hypnos pouvait, apprend-on, endormir aussi bien les hommes que les dieux.

Crédits photographiques : © Alain le Bourdonnec

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