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Les abandons d’Henriette de Coligny et de Marc Mauillon

Avec Je m'abandonne à vous, nous présente Henriette de Coligny, Comtesse de La Suze. Une rencontre vraiment marquante.

Étonnante Henriette de Coligny, arrière-petite-fille du célèbre amiral assassiné lors de la funeste Saint-Barthélémy ! L'été dernier, dans les jardins de William Christie, cerna de quelques quelques mots le tempérament de cette femme pleine de ressources qui, pour mettre un terme à un mariage forcé, eut l'idée de s'en aller trouver le pape afin d'être « démariée » au motif que la catholique qu'elle était devenue ne pouvait partager la couche de son huguenot de mari, Comte de La Suze ! Vent debout contre les injonctions d'un temps peu permissif envers la gent féminine (rappelons le mot de Jean-Jacques Rousseau : « Ce n'est pas à une femme mais aux femmes que je refuse les talents des hommes »!), elle fut, en compagnie de ses amies Ninon de Lenclos, Madeleine de Scudéry, Christine de Suède, adepte des plaisirs de la vie (vin compris !). Elle composa pléthore de poésies dont bon nombre inspirèrent anonymes et compositeurs de renom : , , , , , , ou .

« L'on n'est heureux qu'en aimant », « Que la vie est ennuyeuse quand on n'a point de désirs », « En vain l'on veut ce qu'on ne peut pas », et le fameux « Ne perdons pas un moment des beaux jours », sommet épicurien de « Le doux silence de nos bois » sublimement mis en musique par … Avec un tact inouï et une science de la rime qui touche au cœur, Henriette de La Suze (Doralise pour les intimes des salons de son temps) ne cesse de varier points de vue et angles d'attaque autour de son unique sujet : l'amour et les traces indélébiles, entre transport et blessure, qu'il laisse sur les humains. Un sujet de tous les temps, comme le rappelle la dernière (et très séduisante) pièce du disque, composée au XIXᵉ siècle : un Sans amour et sans tendresse qui, comme plus d'un poème d'Henriette de La Suze, aura eu droit à plusieurs mises en musique.

Je m'abandonne à vous, écrit Henriette de Coligny, semble chanter . Quel meilleur ambassadeur que notre Orfeo contemporain pour rendre justice à une personnalité que l'on découvre en chantre idéal d'une époque (la nôtre), certes soucieuse de soulever le boisseau posé sur l'art de femmes réduites au silence par l'histoire des hommes, mais chahutée plus que jamais par la mise à mal d'une nécessaire libre-pensée. Se faufilant avec quelques connaissances (l'incontournable Tircis) de « dangereux séjours » en « bois écartés », de « forêts solitaires » en « sombres bocages », celui qui fut un étonnant Raulito dans Cachafaz n'a aucun mal à endosser l'enveloppe de chair de la poétesse. Plus que jamais mi-confident, mi-muezzin (il y a même un numéro a cappella comme dans Songline), Marc Mauillon captive une fois encore avec des airs ourlés d'une discrète « ornementation mélismatique ». On succombe avec un plaisir de moins en moins coupable à chacun de ses « s » muets intimés par la prononciation XVIIᵉ. L'intérêt ne retombe à aucun moment de ces deux disques au cheminement minutieusement conçu : de rafraîchissants oasis de musique pure, de délicats compagnons (, ), et surtout la si touchante viole de gambe de , la harpe magique d', toutes et tous magnifiés par une prise de son invitant à la plus prégnante des concentrations. Un disque de bout en bout ensorcelant pour une vraie rencontre humaine.

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