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Robert le Diable : une version du tonnerre

Les opéras de Meyerbeer connaissent un succès discographique inversement proportionnel à leur popularité au XIXᵉ siècle. Toutefois, une entreprise sérieuse mettant en valeur les qualités musicales des compositions du compositeur permet de présenter de façon juste les raisons d'un tel désamour.

Robert le Diable n'est pas l'opéra le plus populaire de la tétralogie de Meyerbeer. On peut émettre des réserves sur un sujet un peu faible, des personnages contrastés et qui évoquent peu des problématiques contemporaines (là où l'on peut faire valoir l'intolérance religieuse ou d'autres sujets plus parlants aux vivants du XXIᵉ siècle). Toutefois, telle une miniature que l'on conserverait précieusement pour la contempler amoureusement, Robert le Diable possède des qualités mélodiques louables et une certaine atypicité dans différents tableaux (le Ballet des nonnes n'en est qu'un exemple, passé à la postérité comme représentatif du ballet blanc). Représenter donc cette œuvre sur scène présente des difficultés souvent évacuées par des mises en scène éludant la question, et le format d'une version de concert recentre l'attention sur les aspects musicaux.

Se faisant l'écho de concerts bordelais, le livre-CD édité par le label Bru Zane offre un témoignage de référence de cet opéra. La qualité éditoriale des textes de présentation est proverbiale. Retraçant l'importance historique de cette œuvre dans la construction du genre du grand opéra ou soulignant l'efficacité du visuel dans la rencontre avec le sonore, on saisit l'ambition de Meyerbeer d'établir une œuvre d'art totale. Mais c'est bien évidemment la part musicale qui intéresse l'auditeur, absolument comblé.

La facture classique de la direction de fait le pont entre les siècles, entre un classicisme finissant et le romantisme consommé, privilégiant une sonorité claire et où les aspects pompiers ne paraissent pas trop soulignés (il y a quantité de marches, de chœurs et de musique de ballet qui pourraient paraitre tels). Par rapport à la version entendue en concert, le traitement sonore permet de diriger l'oreille de façon plus lisible. L'écriture harmonique de Meyerbeer y est épurée, et met en lumière tel pupitre ou tel moment de la partition, en le distinguant de la masse orchestrale de façon intelligible.

Les voix féminines sont également très adéquates. , en Alice, a une voix indolente, avec un certain flou séducteur dans le haut médium et une évocation de rêverie dans une émission doucereuse. en est le contrepoint : voix équilibrée, brillante sur toute la ligne, avec des suraigus de bravoure étonnants (dans l'Acte II) qui forcent le respect. Du côté des hommes, est l'un des rares ténors au monde capable de chanter cette partition absolument diabolique, devant naviguer dans une tessiture étendue. Il a cette capacité à faire preuve tant de vaillance (dans le duo avec Bertram) que de poésie (duo avec Isabelle), en soliste ou dans les ensembles. Habitué de Meyerbeer, sa prononciation est exemplaire et l'on peut quasiment suivre toute l'action les yeux fermés. , déjà titulaire du rôle, s'est affirmé dans le ton et se trouve dans son répertoire, et sans plus aucune hésitation dans la caractérisation du rôle.

Quelques coupures de partition déçoivent pour une version qui s'impose dans une maigre discographie, mais avec cette publication de valeur la réhabilitation de Meyerbeer se poursuit.

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