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David Grimal fait chanter Les Dissonances

Pour leur désormais traditionnel passage à la Philharmonie de Paris, et affichent, une fois encore, un périlleux programme associant Le Mandarin merveilleux de Béla Bartók, le Concerto pour violon n° 1 de et Petrouchka d'.

 

On sait déjà depuis quelques années que rien n'arrêtera plus cette prodigieuse et originale aventure que celle d'une formation d'excellence se produisant depuis 2004, sans chef d'orchestre, dans le seul souci de faire de la musique ensemble et autrement…de manière collégiale. Ce soir, trois partitions très narratives venues de l'Est composées à l'orée du XXᵉ siècle se succèdent ; toutes trois portées par une orchestration particulièrement riche et une interprétation très théâtralisée qui séduit par ses couleurs chatoyantes, par ses performances solistiques, par sa clarté, comme par la précision de sa mise en place et sa justesse de ton faisant des Dissonances de formidables conteurs musicaux. A l'appui de cette performance orchestrale rare, on rappellera que sont une formation symphonique constituée de solistes recrutés au sein des plus grandes formations nationales et internationales (à l'instar de l'orchestre du festival de Verbier) mais également de chambristes reconnus et de jeunes talents capables d'offrir une vision nouvelle rafraichissante des grandes œuvres du répertoire symphonique, toutes exaltées par le plaisir de faire de la musique ensemble et où chaque musicien conscient de sa responsabilité est à l'écoute de l'autre dans une concentration et un engagement forts.

Véritable musique infernale, chaotique, dense, Le Mandarin merveilleux de Béla Bartók ouvre la soirée sur son flot de dissonances et fulgurances expressionnistes. Initialement conçue comme un ballet, cette partition scandaleuse, barbare, à la genèse douloureuse (1919) fut plusieurs fois révisée (1927) pour donner vie à cette « suite » d'orchestre qui nous conte de façon très narrative l'histoire fantastique de ce mandarin, séduit par une prostituée qui meurt après l'accomplissement retardé de son désir… Après un authentique maelstrom sonore qui fait écho au vacarme de la ville dans un foisonnement de timbres (cordes, harpe, piano bois, cuivres et percussions), un long solo de clarinette (Vicente Alberola Ferrando) marque l'apparition de la jeune fille, celle du jeune homme timide (hautbois d'Alexandre Gattet) et du vieux beau (cordes et cor anglais) avant l'entrée pataude du mandarin sur de grotesques glissandos de trombone. Dès lors, danse de séduction et désir forcené inassouvi vont s'affronter dans un face à face haletant, envoûtant et passionné recrutant tous les pupitres de l'orchestre sur des rythmes contrariés et des timbres heurtés, regroupés in fine dans un splendide crescendo qui conclut de belle manière cette lecture enthousiasmante qui concilie avec maestria lecture analytique et globalité du discours.

D'une toute autre veine bien que quasiment contemporain, le Concerto pour violon n° 1 de (1916) déploie, quant à lui, un climat plus apaisé. Il a déjà été magnifiquement interprété par la violoniste Lisa Batiashvili avec l'Orchestre de Philadelphie au mois de septembre en ce même lieu. nous en donne, ce soir, une lecture quelque peu différente, peut-être plus profonde, plus intériorisée, d'une langueur envoûtante, chargée de poésie et de capiteuse sensualité, qui débute dans une atmosphère mystérieuse faite de bruissements nocturnes (petite harmonie, célesta et harpe) avant que ne s'élève la mélodie éthérée du violon soliste soutenue par de beaux contrechants de cor (Antoine Dreyfuss) dans un flux musical continu et une complicité fusionnelle avec l'orchestre. Un « bis » emprunté à Bartók, sorte de chant de douleur, conclut cette émouvante lecture, dans une ambiance recueillie, sur une pensée envers les peuples qui souffrent actuellement de la guerre.

Force est de reconnaitre que et ne ménagent pas nos émotions puisque après la pause c'est à la pétulante Petrouchka d' (version 1947) d'occuper le devant de la scène. Composée initialement pour le piano et l'orchestre, puis pour les Ballets russes (1911) maintes fois révisée et réorchestrée en 1947, cette suite de scènes burlesques nous conte les aventureuses mouvementées et malheureuses de la marionnette Petrouchka, du Maure et de la Ballerine, se déclinant en quatre tableaux bien typés comme autant de collages musicaux où se dissout le lien narratif dans une enivrante ivresse orchestrale foisonnant de timbres et de rythmes martelés annonçant le Sacre du printemps : la Fête populaire de la Semaine grasse où dominent les bois dans une ambiance foraine et bon enfant avec la célèbre mélodie : « Elle avait une jambe de bois » ; Chez Petrouchka annoncé par les timbales fait la part belle au piano aux cuivres et à la petite harmonie dans une succession de stridences, de dissonances et de danses (flûte de Julien Beaudiment) ; Chez le Maure où au sein d'un matériel musical éparpillé vaguement orientalisant (petite harmonie et cordes graves) surgit un solo de trompette brillant et une Valse chaotique ; Mort de Petrouchka qui voit se développer une suite de danses populaires avant que quelques notes convulsives ne scellent le destin de l'arrogante poupée, mettant un terme à une admirable interprétation.

Crédit photographique : © Philharmonie de Paris

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