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Si j’étais roi à Toulon : le songe d’une journée au musée

Nouvelle réussite au palmarès de l'Opéra de Toulon. Si j'étais roi, l'opéra-comique d'Adophe Adam, enchante de bout en bout dans la mise en scène très aboutie de .


met en scène . Si les deux artistes n'ont aucun lien de parenté, les voilà néanmoins dorénavant liés par cette résurrection emballante de Si j'étais roi, absent de la scène depuis les années 90. Un spectacle où le premier gâte le second par son parti-pris : une lecture finement décalée de la lettre d'une œuvre dont la musique légère et délicate fait mouche. Si j'étais roi est un des 78 opéras-comiques d'un compositeur généralement regardé de haut (ainsi Jacques Chailley : «  est le premier compositeur français… par ordre alphabétique »), essentiellement connu pour le ballet Giselle, Le Postillon de Lonjumeau, et certain Minuit ! Chrétiens.

Sont-ce ces trois totems quasi-muséaux qui ont inspiré à le décor de sa mise en scène ? Nous sommes dans un musée dont le technicien de surface fantasme sur une visiteuse elle-même fascinée par une immense marine (Navires au crépuscule sur une mer calme de Willem van de Welde, 1865) qu'elle tente de reproduire sur la toile de son chevalet. L'homme, prompt à l'endormissement, s'endort au pied du tableau, dont les images prennent dès lors vie grâce à la vidéo magique de . Les costumes pastels de Magali Gerberon se fondent harmonieusement dans le très beau décor de Roy Spahn, qui capte d'emblée le regard et les sens avec son immense cadre aux dorures inspirées de celles du cadre de scène et des motifs bordant le toit de… l'Opéra de Toulon. « Partons sans bruit, partons partons… » : passant comme une ombre sous les mots de ce nouveau Tamino, un hommage à La Flûte enchantée donne le signal du voyage et d'une très coctalienne traversée du miroir. En route pour Goa, comptoir des Indes…

On suit avec un intérêt constant les péripéties d'un livret habile écrit à quatre mains (Messieurs Adolphe d'Ennery et Jules-Henri Brésil) qui projette, le temps d'une journée, sa piquante actualité via le bon sens d'un homme ordinaire plongé dans le quotidien extraordinaire de puissants déconnectés de la réalité. Dans le tableau, notre héros, projeté dans la peau du pêcheur Zéphoris, fera la connaissance du Roi Moussol, de son félon cousin le prince Kadoor, et surtout de la belle princesse Néméa qu'un jour il a sauvée de la noyade et dont il est bien évidemment tombé amoureux. Respectueux mais jamais académique, Marc Adam aurait pu se contenter de ce décor posé une fois pour toutes, ainsi que l'avait fait Dominique Pitoiset à Dijon dans son bien longuet Così fan tutte. Il décide au contraire de faire voyager également son spectateur dans la sophistication d'une scénographie elle aussi voyageuse, particulièrement accordée aux allers et retours de son héros entre rêve et réalité, entre deux mondes, entre aujourd'hui et hier. À l'Acte II, non content de faire exploser le quatrième mur en retournant le cadre du tableau, il prolonge la perspective jusqu'au vertige (mais de quel côté sommes-nous ?) en faisant apparaître deux autres scènes au moyen de deux nouveaux cadres aux pieds desquels la banquette cramoisie qui permet d'ordinaire de s'asseoir pour admirer un tableau sert aussi de passage inversé d'un espace à l'autre : un effet d'un prenant pouvoir esthétique, même si, nonobstant une inventive direction d'acteurs, une gestion un peu floue des groupes l'empêche d'égaler la lisibilité du Rosenkavalier par Damiano Michieletto. La conclusion, elle aussi joliment démarquée de la fin heureuse d'une œuvre qui a tout pour plaire, n'est pas moins remarquable : retour de notre roi d'un jour à la réalité du musée, comme de la jeune fille qui reproduisait sur son chevalet la toile invitant au voyage. Mais… les traits de cette dernière ne sont-ils pas ceux de Néméa ?

Dialogues parlés, airs, duos, trios, ensembles (l'aussi beau que trop bref Venez, brahmes sacrés) donnent à chacun et chacune la possibilité d'affirmer une personnalité. Du côté des pêcheurs, la pétulante Zélide, sœur du héros, est gratifiée, à l'Acte III, d'un air charmant qui permet à de révéler l'aigu délicat de son soprano fruité. Son amoureux Piféar, confié à , trouve lui aussi moult occasions de faire briller son timbre chaleureux après que quelques écarts aigus l'auront cueilli à froid. La cupidité de Zizel est bien rendue par . Du côté des puissants, le bal est conduit par le solide Kadoor de , par l'excellente projection et la prestance du Roi Moussol de . On goûte progressivement le peu d'appétit pour l'histrionisme du ténor retenu de en Zéphoris. Du mezzo à la colorature, l'ambitus sans effort de la Néméa d' suscite le plein enthousiasme. Comprimari et chœur maison se montrent particulièrement investis. Plaisir musical et plaisir scénique sont donc totaux, d'autant que conduit avec légèreté et allant l'intégralité d'une partition que le disque a jusqu'ici considérablement amputée.

Un enregistrement Timpani avait fêté la version de concert qu'en 2018, l'Opéra de Toulon avait donnée d'un autre opéra-comique d'Adam : Le Chalet. Pourquoi ne pas prolonger d'une captation l'événement musical et scénique que constitue contre toute attente cette nouvelle production de Si j'étais roi, œuvre d'hier qui aura captivé la jeunesse de demain, très présente en ce soir de troisième et déjà dernière…

Crédits photographiques : © Jean-Michel Elophe

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