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Un Siegfried sans faute à Luxembourg

Donnée en version de concert, la deuxième journée de La Tétralogie aura enthousiasmé le public de la Philharmonie de Luxembourg. Plateau sans faille, emporté par un chef et un orchestre particulièrement inspirés.

Le choix de la version de concert pour cette représentation de Siegfried pourrait une fois de plus raviver le vieux débat sur l'opportunité ou non de jouer un opéra sans l'appui de la scène. Les chanteurs réunis ce soir sur le plateau optent visiblement pour une solution intermédiaire, n'hésitant pas à se déplacer parmi les musiciens de l'orchestre pour suggérer tel mouvement, ou à hocher de la tête ou à user d'expressions faciales de manière à marquer une forme d'interaction entre les différents personnages du drame. Percussionniste de formation, le ténor , interprète du rôle de Mime, va jusqu'à taper lui-même l'enclume dans les premières scènes de l'acte I. Cette gestuelle, à laquelle s'ajoutent les sous-titres bilingues projetés en fond de scène, permet aux spectateurs de suivre le fil de l'action tout en leur laissant l'occasion de concentrer leur attention sur la musique et non, comme c'est souvent le cas, sur la mise en scène. Avec un plateau d'une telle qualité, il eût été regrettable de passer à côté de la performance vocale des tous ces interprètes.

Emporté par un au sommet de sa forme, l'Orchestre symphonique de la radio de Munich livre une prestation d'anthologie, autant impressionnante dans les tuttis orchestraux qu'inspirante dans les délicatesses et les transparences des murmures de la forêt ou du réveil de Brünnhilde. Superbes contributions des bois et des cuivres dans une partition dont les splendeurs orchestrales sont exacerbées par le choix de la version de concert. S'il devait y avoir une faiblesse sur le plan vocal, ce serait peut-être l'oiseau un peu en retrait de la soprano grecque , appelée à remplacer une Barbara Hannigan souffrante. La contralto possède toutes les qualités pour être une Erda de référence – graves abyssaux, ligne impeccable, phrasés de rêve – mais elle est desservie par le choix de la placer à l'écart de la scène dans les hauteurs de la salle. Le trio féminin est complété par la rayonnante Brünnhilde d', laquelle dispose à la fois du volume et de la quinte aiguë nécessaires pour Siegfried. Cette ancienne mozartienne dispose en plus du fameux trille souvent escamoté par les grandes titulaires du rôle. Aucun maillon faible du côté des messieurs. Dans le rôle de Mime le ténor réussit à créer un personnage très réussi théâtralement, presque attendrissant dans ses mensonges et ses contradictions. On notera le luxe de la présence de en personne pour les quelques phrases de Fafner, délivrées avec toute la noirceur nécessaire. En Alberich, fait une fois de plus la démonstration de ses formidables qualités d'acteur et de diseur, alliées à un chant qui reste tout à fait exemplaire. quant à lui répéte, en Wanderer, sa formidable performance vocale. Puissante et richement timbrée, sa voix emplit sans aucune difficulté le Grand Auditorium de la Philharmonie. On aura gardé pour la bonne bouche l'exceptionnel Siegfried du ténor néo-zélandais Simon O'Neill. Doté d'un instrument idéalement placé dans l'aigu, au timbre certes quelque peu nasal, il possède toute l'ardeur et la juvénilité vocales qui conviennent à ce personnage d'adolescent encore mal dégrossi. Sa prestation, qui pourrait peut-être souffrir d'un relatif manque de puissance au premier acte s'améliore au fil de la soirée, le ténor ne montrant aucun signe d'usure à la fin du spectacle. En bref, du Wagner comme on aimerait en entendre tous les jours, enlevé par un chef et un orchestre époustouflants, et une brochette de chanteurs qui pour une fois possèdent tous les moyens de leur rôle. Qu'on se réjouisse, il se dit que l'enregistrement réalisé il y a peu dans les studios de la radio bavaroise devrait paraître dans quelques mois…

Crédit photographique : © Sébastien Grébille

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