Leonardo García-Alarcón n'est pas seulement chef d'orchestre. Il s'adonne aussi à la composition. À la tête de l'Orchestre philharmonique et du Chœur de Radio France, il a dirigé le Requiem de Mozart y enchâssant trois extraits de son oratorio Pasión Argentina.
En cette deuxième soirée de représentation, l'Auditorium de la Maison ronde ne désemplit pas. Le Chœur et les musiciens de l'Orchestre philharmonique de Radio France ont pris place. Devant eux, à proximité de l'archet d'Hélène Collerette, son violon solo, Lysandre Donoso et son bandonéon. Leonardo García Alarcón arrive sur scène tout d'abord pour présenter le concert qu'il dédie au violoncelliste Roland Pidoux, disparu il y a deux semaines : nous allons écouter le Requiem de Mozart, que Franz Xaver Süssmayr eut pour tâche d'achever, mais dans sa version réorchestrée par le musicologue Franz Beyer dans les années 1970, présenté en étroits liens avec trois tableaux de sa composition Pasión Argentina créée en 2022 d'après l'Évangile de Judas retrouvé en Égypte en 1976. Le premier, Crucifixus, précède l'Introitus du Requiem, mêlant des références musicales anciennes et plus récentes (remontant notamment au Moyen Âge) à des influences sud-américaines par la présence du bandonéon. L'instrument argentin par excellence coule ses longues et souples sonorités dans le tissu orchestral, s'en faisant le liant, son timbre colorant de façon originale la sonorité générale, sans jamais s'imposer comme instrument soliste. Cette pièce sacrée impressionne d'emblée par sa dramaturgie, la densité de sa matière mouvante, l'intensité émotionnelle qui résulte de la fusion de l'orchestre et des chœurs jusque dans le grand crescendo final interrompu par un silence abrupt. Vide subit dans lequel les premières notes du Requiem prennent naissance.
Leonardo García Alarcón s'empare du Kyrie avec ferveur et un impressionnant sens de la grandeur, dans une vision architecturée et théâtralisée qui ne manque pas de relief, puissamment contrastée, où le tragique laisse surgir la grâce. Le trait comme le geste musical est toujours d'une netteté absolue, et l'élan énergique notamment dans le Dies Irae emporté et aux contours à vif. Outre les silences, les nuances sont marquées, comme celles pianissimo des cordes dans l'émouvant Lacrimosa où, après son monumental « Amen », l'orgue de la salle se fait entendre dans la fugue finale restituée suivant la volonté de Mozart. L'imposant instrument est toujours présent en dialogue cette fois avec le bandonéon dans le Notre Père (Padre Nostro) écrit par García Alarcón qui précède l'Offertoire mozartien. Ferveur de la prière dans la plénitude sonore et la résonance des accords, il sera redonné en bis. Rex Gloria est entonné par le chœur toujours accompagné par l'orgue suivi d'un Sanctus éclatant, irradiant. Le chef insuffle à l'orchestre des dynamiques telles qu'elles donnent une « vitalité » à la fois spirituelle et humaine à l'ouvrage, comme s'il s'agissait d'un oratorio. Le quatuor vocal, plutôt bien équilibré, interprète le Benedictus avec grande sensibilité et délicatesse. L'Agnus Dei, aux tonalités plus sombres, saisit par la profondeur de sa prière et de ses silences. Avant de s'achever par la Communion (Communio), un dernier insert (en italien !), Io sono te e tu sei me, troisième volet du triptyque argentin, est une prière lente et apaisée porteuse du message christique cher à son compositeur ( « la plus belle parole de l'histoire de l'humanité ») : « tu aimeras ton prochain comme toi-même », cette fois sans bandonéon, mais dans la stricte configuration instrumentale du Requiem.
L'on devait entendre la soprano Catherine Trottmann, mais souffrante, elle est remplacée au pied levé par Chiara Skerath, manifestement très émue au début de l'ouvrage, à en juger par le vibrato de sa voix. Son timbre rond et velouté, souvent enveloppant, mais aussi lumineux, est mis en valeur par la délicatesse de ses intonations, en particulier dans le Benedictus. Mariana Flores, soprano également, prête sa voix puissamment lyrique à la partition d'Alarcón, poussant l'expressivité à un grand degré d'intensité. L'alto Giuseppina Bridelli apparaît à côté plus discrète, mais son timbre, qui sert le plus souvent une belle intériorité, sait se révéler dans son éclat particulier lorsqu'elle se fait entendre seule. Valerio Contaldo est un ténor lyrique dont on apprécie le phrasé ample et libre, et le timbre limpide. Andreas Wolf est une basse solide, aux graves profonds, généreux et bien ancrés, qui se distingue par le ton juste et superbement posé des ses interventions.
Le chœur de Radio France déployé en fond de scène derrière l'Orchestre est formidable de cohésion, ses pupitres bien caractérisés, ce qui n'est pas contradictoire, et donne une image sonore tout en relief extrêmement précise et fine de l'écriture contrapuntique, d'une lisibilité parfaite.
Les musiques de Mozart et de García Alarcón intimement mêlées nous laissent cette impression que le passé et le présent ont été abolis, le temps d'un concert, au profit de l'élévation spirituelle dans son intemporalité, pari audacieux mais réussi du chef-compositeur dont l'enthousiasme a conquis le public présent ce soir, visiblement touché.