Double surprise au Theater Basel : une zarzuela mise en scène par Christof Loy !
Sauf erreur, c'est la première fois que Christof Loy, que l'on a plutôt identifié en metteur en scène sérieux de spectacles sérieux, même in loco (Daphné, Château de Barbe Bleu, Eine Winterreise), met son talent au service d'une œuvre lumineuse : l'opérette espagnole El barberillo de Lavapiés. Créée en 1874, la zarzuela de Francisco Asenjo Barbieri (la plus célèbre dit-on des 20 000 recensées), loin de faire figure d'épine (la traduction française de zarzuela donne “ronceraie”) dans le pied de sa conséquente carrière, est le fleuron supplémentaire d'une année 2025 particulièrement fertile pour le metteur en scène allemand : Turandot à Bâle, Peter Grimes à Lyon, Louise à Aix.
Un artiste de cet acabit ne peut qu'inciter l'amateur d'art lyrique à appréhender un genre dont l'énergie typiquement hispanisante (fandango, rota, olé ad libitum…) a pu faire écran alors que son alternance de dialogues parlés (ce soir accompagnés avec un savoureux second degré par la guitare de Marcelino Echeverria) et de numéros musicaux évoque à l'évidence l'opéra comique français et le singspiel allemand. Sans parler du livret de ce Petit barbier de Lavapiés, tout sauf volatile.
Devant un rideau de scène arborant un Madrid sublimé par un cliché en noir et blanc, un homme s'avance en silence… On craint d'abord une funeste annonce. Ouf ! Ce n'est qu'un des chanteurs de la production venu donner en préambule une leçon de zarzuela à un public bâlois encore novice, en lui expliquant qu'avec l'opérette espagnole (véritable ADN ibérique), tout est permis : acclamations, interpellations, cris… Bref, rien moins qu'une invite au dynamitage du quatrième mur ! La sacro-sainte muraille en verra effectivement des vertes et des pas mûres, notamment quand le héros, le barbier Lamparilla, demandera au public la permission d'embrasser l'héroïne, la couturière Paloma (imagine-t-on un instant Siegfried en faire autant avant de réveiller Brünnhilde ?) ou encore quand l'un et l'autre bisseront leur duo dansé pour satisfaire une demande de bis longuement hurlée du balcon du Theater Basel !
Le spectacle n'est effectivement que pure jouissance. D'abord esthétique avec le superbe décor modulable de Manuel La Casta : une place noyée d'une soyeuse lumière d'été à l'Acte I, la rue qui abrite l'échoppe de Lamparilla au II, et enfin, après un resserrement cinémascopique du cadre, l'atelier de Paloma au III. Une scénographie de murs et de portes qui est de fait le verso extérieur des rectos intérieurs auxquels Loy nous a habitués spectacle après spectacle.
Murs et portes ceignent cette fois une place arborée de troncs longilignes, où tout ne serait qu'inconséquence et sens de la fête (superbe nuancier costumé de Robby Duiveman), n'étaient à l'arrière-plan quelques hommes en arme et en blanc d'une Guardia Civil, d'opérette bien sûr. Son intrigue défrayant hélas toutes les actualités, le spectacle, affranchi du XVIIIe siècle sous Charles III du livret de Luis Mariano de Larra, plonge son spectateur dans la contemporanéité du quartier madrilène de Lavapiés, dont les habitants remettent en question le joug sécuritaire d'un pouvoir qu'on évoque sans cesse mais dont on ne verra que la maréchaussée. Une utopique confraternité aristocratie/plèbe s'agite là (on songe aux Noces de Figaro), qui finira par donner réalité au rêve d'une Espagne éprise de liberté. El barberillo de Lavapiés allie politique et amour : c'est l'amour qu'il porte à Paloma qui conduira le fringant Lamparilla, barbier madrilène petit frère de certain barbier sévillan (comme l'indique un très fugace tralalalera chanté par ce nouveau factotum) à se mêler de la conspiration ourdie par Estrella, marquise de son état, elle-même amoureuse de Don Luis, dont les liens de famille avec le pouvoir en place seront source de moult quiproquos.
Pure jouissance musicale avec des artistes espagnols dont la plupart se sont déjà produits au Teatro de la Zarzuela de Madrid. Volubiles et assurées, les voix révèlent un répertoire où tout semble n'être que bonheur de chanter, de danser (irrésistibles chorégraphies de Javier Pérez) tout en jouant, un des nombreux moments jubilatoires de la soirée étant ce numéro à deux explosant tous les codes amoureux où l'étourdissant Lamparilla de David Oller finit ployé sous la Paloma gentiment rouée de Carmen Artaza. Les moyens de Cristina Toledo indiquent que la Marquise del Bierzo est le personnage dont la vocalité se rapproche le plus du genre opéra, qui va jusqu'à entraîner son Don Luis (Santiago Sànchez) un peu effacé au début, à se dépasser dans le duo final. Chœur et octuor de danseurs bien imbriqués s'inscrivent dans l'allégresse générale avec un engagement des plus communicatifs. À l'instar du Sinfonieorchester Basel, qui sous la direction idiomatique de l'actuel directeur musical soi-même du Teatro de la Zarzuela (José Miguel Pérez-Sierra), ne rechigne pas non plus à rafraîchir la coupe de ce Barberillo de Lavapiés qui attendait depuis longtemps un tel coup de jeune. Malgré l'épuisant yoyo plateau/surtitres anglais allemand (le Theater Basel n'étant hélas toujours pas convaincu du bien-fondé de surtitres français), le voyage est donc hautement recommandé, non en Espagne, où le Teatro de la Zarzuela affiche encore une version bien traditionnelle de l'œuvre, mais en Suisse, où, enchanté par un metteur en scène inspiré, le spectateur ne se fait pas prier pour participer à l'abattage du quatrième mur de sa maison d'opéra.
Crédit photographique : © Ingo Höhn
Lire aussi :
Une bouleversante Pepita Jimenez inaugure la saison au Teatro de la Zarzuela de Madrid