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La Flûte à l’ancienne de Cédric Klapisch enchante Saint-Étienne

Test positif auprès du public du Grand Théâtre Massenet (après Paris au TCE, Tourcoing, Compiègne et Nice) pour le cinquième tour de piste du chef-d'œuvre de Mozart dans la vision de . On attendait cependant davantage des débuts à l'opéra du cinéaste français.

De Riens du tout à La Venue de l'avenir, en passant par les classiques Un air de famille et L'Auberge espagnole, les films de ont généralement reçu, en dépit des poses d'une certaine critique, un accueil qui a intronisé leur auteur en cinéaste populaire. Au meilleur sens du terme. De 1992 à aujourd'hui ses quatorze films se sont inscrits dans l'imaginaire de nombre de cinéphiles. Klapisch s'est frotté avec le même succès au genre du ballet avec En Corps (2022). Qu'allaient pouvoir produire à l'opéra le sens de la répartie, le profond humanisme à l'œuvre dans toute sa filmographie ? La Flûte enchantée, opéra des Lumières par excellence, avec son rêve d'une société idéale pour tous, pouvait sembler un bon premier choix.

Les dialogues parlés du dernier singspiel d'un enfant prodige en fin de vie offrent un boulevard à Klapisch qui, s'empresse, comme à l'opérette, et très certainement comme Schikaneder/Papageno ne se priva pas de le faire dans les faubourgs de Vienne où en 1791 l'opéra fut créé, de les écrire au goût du jour. Dans La Flûte de Klapisch, « chacun cherche son chat » en « kiffant » l'amour « ouf ». Même le puriste se gondole à entendre la douce Pamina demander à Tamino s'il « fait la gueule » ou Papageno freiner les injonctions « genrées » du Premier Prêtre. Le problème c'est que ce langage d'aujourd'hui est donné à entendre dans un environnement scénique d'hier.

Le lever de rideau transporte le spectateur dans un univers qui a plus d' « un air de famille » avec l'ordinaire des maisons d'opéra des Trente Glorieuses, période qui était loin de l'être sur le plan des scénographies lyriques. Non, à l'opéra, ce n'était pas mieux avant, comme le rappelle à son insu le trio de troncs d'arbres bricolés par Clémence Bézat dans de la gaze sur un fond végétal : voilà pour le domaine sylvestre de la Reine de la Nuit, folle, nous apprend Sarastro, de « tisanes végétales ». Pour la grande bibliothèque de Sarastro, des silhouettes d'arcades translucides feront l'affaire. Le jeu d'orgues fait ce qu'il peut (surtout au deuxième acte, plus séduisant visuellement) pour masquer les limites esthétiques du dispositif de cette Flûte qui ne s'écarte jamais de son livret, jusqu'à une réconciliation finale où même Monostatos finit par trouver sa place dans la ville idéale végétalisée apparue sur les dernières mesures.

Le déficit esthétique n'épargne pas « l'auberge espagnole » de la garde-robe. Si le cuir emplumé convient à Papageno, le cuir à mi-torse à Monostatos, on maudit avec Tamino la cape et la combinaison uniment rouges dont on l'a affublé, et dont semble se moquer Papageno lui-même en affirmant dès leur prime entrevue : « ça fait vraiment prince… »

Si l'on fait abstraction de cette absence de choc esthétique, le spectacle va bon train, la direction d'acteurs n'engendrant pas la mélancolie, comme on peut s'en rendre compte dès l'entrée des trois dames, sortes de toupies montées sur roulettes. On ne peut cependant ensuite se départir de l'impression que Klapisch se contente de convier son spectateur à admirer les chanteurs de cette distribution entièrement renouvelée.

dessine un Tamino héroïque, presque wagnérien face à la Pamina de , jusqu'au bout  piquante et gracieuse. Un peu comme son Sprecher, encore un peu vert (), ses Prêtres et ses Hommes en armes ( et ), a les graves de Sarastro mais étonnamment pas l'étoffe, sa voix paraissant intimidée par les cascades de tissu immaculé dont les costumiers (Stéphane Rolland et Pierre Martinez) l'ont paré. Beaucoup plus à l'aise, les trois dames (, , ) s'emparent avec une volubile musicalité de leurs différentes apparitions. L'œil par trop rivé vers la fosse, les trois grands enfants maîtrisiens paraissent bien appliqués. Avec , malgré un second air de moindre assise, on gagne une incarnation qui nous épargne la tradition des Monostatos campés par des ténors dits de caractère. Il est rare que le couple Papageno/Papagena déçoive : cela se vérifie une nouvelle fois avec et , ce dernier faisant monter très haut l'applaudimètre. rattrape un « O zittre nicht » un peu contraint d'un « Der Hölle Rache » exemplaire, accompagné avec beaucoup d'imagination par et un Orchestre Saint-Étienne Loire plus mozartien (très beaux accents pour la scène des Hommes en armes) qu'il ne le fut in loco en juin dernier pour L'Enlèvement au sérail (subsistent quelques problèmes de justesse aux cordes, un cor en délicatesse sur la durée). Le chœur apparaît un peu moins soudé chez Mozart que dans le grand romantisme.

La représentation stéphanoise est longuement fêtée, en personne venant recueillir sa « part du gâteau » d'une production incontestablement populaire, mais dont les évidentes limites esthétiques montrent une fois de plus que, comme celles réalisées par des metteurs en scène de théâtre, les mises en scène d'opéra réalisées par les plus stylés des cinéastes (Werner Herzog, Woody Allen, Sofia Coppola, James Gray, Wim Wenders ces dernières années, Coline Serreau avant-hier, Agnès Jaoui hier, Cédric Klapisch aujourd'hui…) sont presque toujours des spectacles sans style véritable. Depuis Patrice Chéreau, se comptent finalement sur les doigts d'une main les cinéastes qui ont réussi leur passage sous les fourches caudines de l'art total: Philippe Grandrieux, Christophe Honoré, Kirill Serebrennikov

Crédit photographique : © Cyrille Cauvet

Modifié le 18/11/2025 à 15h10

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