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Une nymphe à la Bastille

Avec dix ouvrages lyriques à son catalogue, compte parmi les compositeurs les plus prolifiques de l'histoire de l'opéra. Cette part de sa création reste pourtant à découvrir en Europe occidentale. En tout cas aucune de ses partitions lyriques n'avait été jouée à Paris jusqu'au 19 juin dernier. C'est avec Rusalka, la plus fameuse de ses pièces du genre, que Dvorak a enfin fait son entrée au répertoire de l'Opéra de Paris.

Créé à Prague le 31 mars 1901, avant-dernier opéra de l'auteur de la Symphonie « Du nouveau monde », est pourtant le plus connu de ses opéras. Le livret de s'inspire en partie à la fois de l'Undine de La Motte-Fouqué, et de La Petite Sirène d'Andersen. Composant cette partition scénique dans la foulée de l'impressionnante série de poèmes symphoniques opus 107 à 110 illustrant des textes de K. J. Erben, dont L'Ondin et La Sorcière du midi. Dvorak brosse dans Rusalka une évocation de la forêt bohémienne saisissante de poésie et de fraîcheur, gorgée d'atmosphères mystérieuses, angoissantes et lugubres, mais aussi bucoliques, tendres et voluptueuses. L'on retrouve aussi dans cette sensuelle évocation de la nature des couleurs toutes weberiennes et wagnériennes. Rusalka est en effet une nymphe qui renonce à ses attributs divins pour devenir simple femme pour l'amour d'un prince qu'elle observait depuis les ondes maternelles, mais pour réaliser son dessein, elle va au-devant d'une sorcière qui la condamne à devenir muette. Tant et si bien que, le comble pour un opéra, l'héroïne ne chante pas durant un acte entier ! C'est dire combien il faut à la titulaire du rôle un réel talent de comédienne. A la fin de l'ouvrage, Rusalka, en pleine extase amoureuse, emporte son beau prince dans la mort.

Cette entrée au répertoire de l'Opéra de Paris du chef-d'œuvre lyrique de Dvorak s'est faite dans d'excellentes conditions, cette production bénéficiant en de la présence de la meilleure interprète du rôle-titre qui se puisse trouver aujourd'hui. D'autant plus que, d'origine tchèque, la soprano américaine a entendu depuis sa plus tendre enfance résonner cette langue dans la bouche de ses grands-parents. Toute de charme et de beauté, la « est » Rusalka, Magnifique de sensualité et de force expressive, douée d'une voix aux aigus d'une limpidité absolue, elle transcende ce qu'a de contenu son interprétation dramatique du personnage. Par chance, la belle ondine est remarquablement entourée par le ténor letton Sergeï Larin, prince à la voix aussi flexible qu'opulente, le beau baryton du Bavarois , Esprit du lac à la fois autoritaire et bienveillant, et l'impressionnant contralto de la Russe , sorcière Jezibaba aux graves abyssaux. Mais l'ensemble de la distribution serait à citer, tant tous concourent amplement à la réussite de ce spectacle, jusqu'à l'inusable , garde forestier inénarrable. Seule réserve, Eva Urbanova, soprano tchèque qui campe une princesse étrangère par trop criarde. Côté fosse, la réussite est moins probante, se laissant emporter par les magnificences de la partition au risque de gommer la délicatesse de ses nuances, sa direction se faisant souvent raide et durement tranchée. La mise en scène de propose une lecture psychanalytique, jouant constamment sur le miroir au sein d'un dispositif scénographique impressionnant et astucieux (la manipulation du décor est si délicate qu'il s'est effondré le deuxième soir) conçu par Michael Levine qui a permis au metteur en scène canadien de remporter un succès public plutôt rare en ce théâtre.

Crédit photographique © Eric Mahoudeau

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