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Le retour d’Ulysse dans sa patrie : on croit tout savoir

On croit tout savoir sur Il ritorno d'Ulisse in Patria. Et pourtant, jamais personne n'a mis la main ni sur la partition originale de , ni sur le livret original de .

Mais, depuis ses premières productions modernes, vers les années 1920, l'absence de ces documents fondamentaux n'a jamais rebuté ni les théâtres ni les producteurs discographiques d'offrir leur version – définitive, évidemment – de l'œuvre attribuée à Monteverdi.

La continuelle reconstruction musicale à partir de brouillons non authentifiés fait le bonheur du musicologue, tandis que la copie d'un des livrets (ils sont effectivement deux à se disputer le droit d'être mis en musique!) s'avère du pain béni pour le metteur en scène. Sans garde-fou, il s'en donne à cœur joie dans ses interprétations scéniques là où il ne devrait s'attacher qu'à la seule certitude de cet opéra : la relation étroite entre Il ritorno d'Ulisse in Patria et les chants XIII à XXIII de l'Odyssée d'Homère.

Il semble cependant que n'en a pas lu tous les chapitres sinon pourquoi réinvente-t-il une histoire qui n'a plus grande chose à voir avec l'argument du poète grec ? Qu'il transpose l'intrigue dans les années cinquante n'a en soi rien de choquant. En revanche, qu'il fasse l'impasse sur l'appesantissement constant du sentiment d'attente de Pénélope, qui pendant vingt ans, jour après jour, espère le retour d'Ulysse, efface l'esprit même de son spectacle. Cette dame blanche déambulant mollement dans son loft dont une immense baie s'ouvre sur une mer de rêve n'évoquera jamais le désespoir de Pénélope. Sans la lecture des surtitres, difficile de savoir qui se cache derrière cette statuesque personne. On se prend à y voir une Maria Callas se morfondant dans son appartement parisien alors qu'elle avait quitté le monde de l'opéra ! Mais alors, qui sont ces soubrettes en blouse décolletées et minijupes blanches sur des collants rose fuchsia, servant la collation de la diva dans un ballet aussi immuable que ridicule? Et pourquoi, en 1950, cette Callas de pacotille aurait-elle éprouvé le besoin de tirer à l'arc sur quelques cibles disposées dans son salon ? Et s'il s'était agi de Pénélope, l'incongruité du geste eut été pareille.

On l'aura compris. La mise en scène de est vide de sens. Se voulant légère, elle n'est que superficielle. Dans cet univers inconsistant, les protagonistes font de leur mieux pour habiter l'inhabité. On assiste alors à une pâle prestation tant vocale que scénique de (Pénélope). Jamais on ne pense qu'il s'agit de la même interprète de l'excellent Annio dans La Clemenza di Tito de Mozart, tout récemment présenté sur cette même scène (voir notre critique). Où tout était brillance, verve et éclat ne restent que fadeur et indifférence. Autour d'elle, un monde disparate de personnages désinvestis vaque dans l'intrigue. Chacun, ou presque, y va de sa chansonnette sans se sentir concerné du pourquoi et du pour qui il la pousse. Certes, tout est correctement chanté, mais dans cette ambiance dénuée d'enjeux, il n'y a plus de place pour l'émotion. À vouloir faire sérieux, on chante face au public. Peu s'en faut qu'on assiste à une représentation «à-la-Bob-Wilson», avec le dos-à-dos de la retrouvaille entre Ulysse et son fils Télémaque. Que l'atmosphère se détende, c'est le style «à-la-Jérôme-Savary» qui prend le relais, avec ce jardinier balourd sorti des Noces de Figaro enlaçant contre sa poitrine de redoutables cactus, avec la délicatesse qu'on pourrait dédier à un ballon de rugby.

Dans cette distribution vocalement homogène et de bonne qualité, dommage que l'absence de direction d'acteurs en gâche les talents. Malgré leur application certaine, leurs voix souvent intéressantes, leur talent, la plupart des chanteurs se retrouvent confinés aux « abonnés absents ». Ainsi Leonardo de Lisi (Eumée), (Le Temps/Antinoüs/Phéacien III) et l'admirable basse (Neptune), le rôle probablement le mieux choisi de la distribution, récitent plus qu'ils ne jouent. Regrettable encore l'image laissée par la bouffonnerie forcée et grotesque du ténor Robert Burt (Irus). S'il était responsable des scènes qu'il interprète, aurait-on vu un acteur qui ne sait plus chanter ou un chanteur qui ne sait pas jouer ? Seuls les plus théâtralement doués s'en sortent, à l'image d' (Eurymaque) qui, d'une voix puissante et claire impose sa musicalité et son talent émotionnel dans un très crédible duo d'amour avec une très belle et concernée (Mélantho).

Pas très musicien, le ténor croate Kresimir Spicer (Ulysse) chante inutilement forte accentuant la verdeur de sa voix. Disparaissant sous un triste manteau, une fois démasqués ses ennemis, on espère le retrouver comme le prince, le roi qui reprend son royaume et sa femme au dernier tableau. Mais quand, tombant sa guenille, il apparaît avec un « Marcel » tout sauf sexy et un pantalon aussi seyant qu'un caleçon long, on mesure la poésie de la costumière ().

Comme un patchwork incohérent, les scènes se succèdent. Cassant un rythme théâtral déjà précaire, le très bon Ensemble baroque du Grand Théâtre de Genève souplement dirigé par suspend ses interventions pour laisser se clore ou s'ouvrir un rideau, s'avancer ou reculer bruyamment le décor sans raison scénique avérée, à moins que ces grincements mécaniques ne soient partie intégrante de la partition de Monteverdi.

Crédits photographiques : © GTG/Ariane Arlotti

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