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L’Or du Rhin à Paris : Art total, nous voilà !

Première attendue que celle de L'Or du Rhin, prologue à une Tétralogie qui se terminera en juin 2011. Depuis 1957 la «Grande Boutique» n'avait osé programmer L'Anneau du Nibelung dans son intégralité – et encore, seuls les deux premiers volets furent donnés à ce moment. En toute logique, l'ancien assistant de Patrice Chéreau à Bayreuth sur le même cycle et aujourd'hui directeur de la maison s'est empressé de produire un Ring entier.

Orchestre en grande forme, plateau d'exception, mise en scène inventive… Cet Or du Rhin laisse présager un futur excitant pour les trois épisodes suivants. La vision d'ensemble de Günter Krämer n'innove en rien, mais prend le meilleur des idées expérimentées ces trente-cinq dernières années : un peu de Chéreau (Loge tirant les ficelles du destin des dieux, l'immense pendule dans la scène du Nibelung), un peu de Regietheater (Fafner et Fasolt à la tête de d'un syndicat ouvrier en grève), un peu de Fura del Baus (les Filles du Rhin dans leur accoutrement sexy, les échafaudages) et bien sur deux poncifs inévitables : l'escalier monumental qui monte jusqu'aux cintres pour l'ascension finale vers le Walhalla et la référence au IIIe Reich.

Dans ce fatras parfois un peu kitsch, les acteurs ne sont jamais abandonnés. Tout est réglé au millimètre près. Ainsi les dieux, on s'en serait douté, sont pleutres et faibles, à commencer par Wotan. Loge est un clown triste sorti d'un conduit de cheminée. Le metteur en scène situe ses chanteurs exclusivement à l'avant-scène, réglant du coup les soucis d'acoustique et d'équilibre entre l'orchestre et les voix. En arrière-plan une armée de figurants masculins sont tour à tour ondins, géants (ouvriers), nibelungen (mineurs) et serviteurs des dieux dans un accoutrement qui n'est pas sans faire penser aux cérémonies hitlériennes. Cette foule grouillante, conjuguée à de subtils effets de lumières et de fumée, participe activement à l'élaboration du drame.

D'un plateau en bien en voix, on regrettera le choix contestable de . L'instrument est usé, les aigus poussés, l'émission engorgée… D'autant que le reste de la distribution est d'un niveau excellent. Sans passer à l'énumération exhaustive – L'Or du Rhin n'a pas vraiment de seconds rôles – se détachent particulièrement en Donner (qui a aussi Wotan à son répertoire), en Erda, en Loge et, comment ne pas la citer, Sophie Koch.

Dans la fosse c'est un festival ! Bien sûr l'introduction, qui vient des profondeurs, aurait pu être commencée plus doucement. Si à Bayreuth l'orchestre est invisible, le noir est complet et le public silencieux, en revanche à Bastille… Nonobstant quelques fins de conversations et raclements de gorge, aucun accroc ne vient perturber l'immense accord de mi bémol majeur qui inaugure le Ring, probablement une des plus belles pages qui n'ait jamais été composée. Sur les deux heures trente qui suivent, tient à bout de bras ce qui est maintenant «son» orchestre, sans un instant de relâchement. Scène et fosse étant ce soir à l'unisson, le public a pu approcher tant soit peu de l'»œuvre d'art total» voulue par le Maître de Bayreuth. Vivement la suite !

Crédit photographique : (Fricka) & (Freia) ; (Alberich) © Charles Duprat / Opéra National de Paris

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