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Albert Dohmen, le Dieu de Wagner

Au tombé du rideau, le public ne semble pas outrageusement enthousiaste vue la relative brièveté de ses applaudissements.

Pourtant la production de ce Parsifal est superbe, les chanteurs magnifiques, l'orchestre et les chœurs somptueux, les décors et les costumes très beaux. Alors ? Alors, peut-être qu'un opéra de cinq heures en milieu de semaine, c'est long ? Trop long pour peut-être avoir encore assez d'énergie pour applaudir à tout rompre ?

Si avec son «Trop de notes…», l'empereur Joseph II se plaignait de L'enlèvement au Sérail de Mozart, probablement aurait-il jugé le Parsifal de d'un «Trop de mots…». En effet, que n'en faut-il des mots à chacun des protagonistes pour exprimer ses pensées qui, même si elles apparaissent complexes, n'ont certainement pas besoin d'être rabâchées sans cesse pour faire passer le message qu'elles contiennent. Mais on ne refera pas Wagner, non plus que ses plus ardents défenseurs !

Avec ses espaces bleutés du domaine du Bien et verdâtres de celui du Mal, ses spots lumineux suivant les protagonistes, laissant de grandes parties de la scène dans un sombre brouillard, l'esthétique de Roland Aeschlimann reste l'atout majeur de ce spectacle. Six ans ont passé depuis que cette même production a été montrée sur la scène du Grand Théâtre de Genève. On y retrouve les mêmes décors, les mêmes costumes, les mêmes éclairages. Comment expliquer qu'aujourd'hui cette reprise laisse l'impression d'un spectacle plus beau qu'alors ? La réponse se trouve certainement dans l'intelligence avec laquelle le metteur en scène retouche son spectacle original pour en affiner l'esprit et la lettre. Ainsi, soignant le détail, la posture, l'attitude de ses protagonistes dans une économie du geste magnifique, il imprime une densité spirituelle qu'on ne décelait pas lors des représentations d'avril 2004. Porté par un (Gurnemanz) habité, Roland Aeschlimann développe un spectacle où l'émotion surgit à tous instant. Même secondaire, aucun personnage n'est laissé à lui-même, à l'anecdotique, à l'instar de deux écuyers assistant avec une humanité non feinte à l'arrivée d'Amfortas agonisant. Les personnages de Roland Aeschlimann existent, vivent dans un discours scénique authentique.

Grand maître du jeu, (Gurnemanz) impose sa dignité avec une voix qui semble avoir encore pris du corps. Le registre grave impressionne et construit le discours vocal de la basse allemande dans une extraordinaire authenticité sacrée. Admirable conteur, imposant sa stature et sa présence, le geste rare, il règne tel un Sarastro de sagesse. Véritable Dieu de Wagner, sa formidable présence aurait occulté les autres protagonistes s'ils n'avaient été aussi valeureux. À commencer par le rôle-titre superbement chanté par un (Parsifal) dont la voix juvénile et claire colle parfaitement à l'audace héroïque du personnage. Si la soprano (Kundry) sait doser son instrument pour se fondre dans la servante du temple telle Marie-Madeleine lorsqu'elle lave les pieds de Parsifal ou le colorer de violence dès lors qu'elle se met au service de Klingsor, on aurait aimé qu'elle s'investisse plus dans ses diaboliques tentatives de séduction de Parsifal et dans sa démentielle frustration devant la chaste résistance du chevalier. Elle aurait alors contribué à la réussite d'un deuxième acte moins convaincant que le premier et le dernier par l'ascétisme du décor et la présence vocale trop fruste d' (Klingsor). Trente ans après sa première apparition sur la scène du Grand Théâtre de Genève, Hans Tschammer est un Titurel magnifiquement abyssal. Si la production d'avril 2004 avait applaudi un Bo Skovhus sublime, l'halluciné Amfortas de trouble plus qu'il ne persuade.

L'impressionnante image des chœurs combinés du Grand Théâtre de Genève et Orpheus de Prague avançant cuirassés de leurs armures et leurs boucliers pour la célébration du Graal n'a d'égale que sa prestation vocale dont la valeur rend un vibrant et merveilleux hommage au maître de Weimar. Dans la fosse, le trop sage dirige un qui, s'il joue mieux qu'il y a six ans, n'a pas offert le feu qu'Armin Jordan avait insufflé à cet orchestre.

Crédit photographique : (Gurnemanz), (Parsifal), (Kundry) © GTG/Vincent Lepresle

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