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Le grand frisson joue les arlésiens à Orange

On aurait tant voulu le ressentir ce «grand frisson» propre aux soirées électrisantes!

Car, objectivement, cette Tosca avait tout pour nous combler : des interprètes charismatiques, un jeune chef prometteur et le magique ciel provençal, inondé d'étoiles. Le résultat, s'il n'a rien de déshonorant, est pourtant plus que mitigé.

n'est pas en cause, loin de là. On sait la gageure de mettre en scène au théâtre antique, et quelque soit le degré de réussite du spectacle, au mieux une indifférence polie au pire des sifflets du public le sanctionnent. Louable, la volonté d'exploiter tout l'espace scénique : rangées de bancs au premier acte, salle de torture au deuxième apparaissant derrière le bureau de Scarpia, sortie de scène de Tosca avec musiciens, cachots au dernier acte… Le décor, un immense portrait de Marie-Madeleine occupant une grande partie du fameux mur de scène est indiscutablement beau, voire saisissant. Quant à la transposition à l'époque fasciste, elle fonctionne plutôt bien et visuellement se révèle tout à fait crédible -à défaut d'être vraiment exploitée. Comment expliquer alors notre déception? Sans doute , anticipant les réactions du public et la retransmission télévisée, a comme esquivé le vrai théâtre. Tout ici appelle le paroxysme et l'excès! Pourquoi tant de retenue dans l'expression des sentiments? Pourquoi faire chanter «E lucevan le stelle» à Alagna en fond de scène? On en vient à regretter l'époque ou Corelli et Di Stefano chantait le cœur en bandoulière en levant les mains au ciel. Passons aussi sur quelques incohérences, bien fâcheuses, avec un pâtre se transformant une nouvelle fois en fille du geôlier !

Accueilli par des bravos éperdus dès «Recondita Armonia», est en territoire conquis à Orange ou son lien avec le public est sans doute plus fort que nul part ailleurs. En excellente forme physique et vocale, voici le plus fringant des Mario – même écartelé sans doute garderait-il la même fraicheur ! Une nouvelle fois on s'inclinera devant la prestation du ténor qui – quoiqu'en disent les Cassandre – est toujours aussi solaire. Le timbre est encore beau, la diction soignée et les deux grands airs habilement négociés mais «Vittoria» fut par le passé plus éclatant. Nous avons toujours défendu, y compris dans ces colonnes (Alcina à Lyon, Senta à Amsterdam), la versalité stylistique de passant avec la même aisance de Mozart à Haendel ou de Puccini à Strauss. D'une grande beauté en scène, ardente, sensuelle, sans doute trop intériorisée pour Orange, la soprano américaine dessine un personnage d'une classe folle – à mille lieux de l'histrionisme «callassien». Vocalement en revanche la déception est de taille, le timbre n'a ni la séduction, ni l'impact attendu même si l'interprète sait jouer les enjôleuses. Cruellement absentes les opulences voluptueuses de Tosca dans «Mario, Mario !». Si les aigus sont beaux -bien qu'à la limite de la stridence-, le bas médium et les graves sont difficilement audibles dans le deuxième acte déséquilibrant ainsi la confrontation avec Scarpia. Quelques beaux moments tout de même avec une prière, chantée comme en apesanteur.

D'ordinaire bien inspiré dans le choix des voix graves (Prestia, Scandiuzzi, Guelfi… ), est allé débaucher remarquable wagnérien, en tous points contestables dans Scarpia. Timbre élimé, sans la couleur encre noire du rôle, déficit en puissance vocale, aigus poussifs. Le personnage, brutal et pervers comme il se doit, est de convention, mais efficace. Appréciables les rôles secondaires notamment le truculent et le Spoletta haut en relief de Christophe Mortagne.

Pouvait-on imaginer le public d'Orange aussi snob ? Après avoir lu les articles dithyrambiques du Figaro et du Monde, les spectateurs ont fait fête à . Une nouvelle tête cela se salue bien bas, d'autant que celle du finlandais est capable d'éclairs de génies. Doit-on pour autant s'emballer démesurément comme certains l'on fait et clamer haut et fort n'avoir jamais entendu autant de détails instrumentaux dans cet opéra ! Quid de De Sabata, Muti, Sinopoli e Pappano et consorts ? Nous avons entendu une belle Tosca (merci Puccini !) mais Franck trahit sa sensibilité de chef essentiellement symphonique et l'attention au voix est loin d'être optimale. De plus, s'il y a de superbes contrastes, des moments magiques (Te deum) et une mobilité orchestrale évidente («Philhar» en grande forme), le troisième acte accuse quelques flottements et semble bien languissant. Au final, triomphe public pour Alagna, Naglestad et le chef. Soirée parfois captivante qui laisse pourtant un authentique sentiment de frustration.

Crédit photographique : Catherine Nagelstadt (Tosca) & (Mario) ; Catherine Nagelstadt (Tosca), Falck Struckmann (Scarpia) & (en fond, Mario) © Photo Grand Angle Orange

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