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Onéguine à Bastille, le passé, toujours le passé, …

Les trois premières productions (toutes des reprises) de cette saison de l'Opéra National de Paris provoquent toutes le même questionnement : quelle est la ligne artistique voulue par  ?

Nous savions tous par avance que la nouvelle mandature serait celle d'un retour à une forte tradition lyrique. Mais devrions-nous nous accommoder dorénavant de cette vision non plus traditionnelle mais carrément passéiste ? Avec cette reprise d'un Eugène Onéguine conçu pendant les années Gall, nous tombons dans le XIXe siècle, quand l'opéra n'était pas mis en scène mais juste en espace, où le travail scénique se résumait à de beaux décors, quelques éclairages, un peu de déplacements et quelques mimiques appuyées. Et des voix fantastiques – au moins il nous reste l'essentiel.

La mise en scène de , au fur et à mesure des reprises, se vide de sa substance. La bourgeoisie réunie à l'acte II dans ses habits chamarrés tourne au spectacle de patronage – alors que l'uniformité engendrée par le mouvement de foule devait représenter et railler la lourdeur de la convention sociale. Les scènes fortes (fin de l'acte I, scène du duel, …) ont perdu tout impact dramatique. Visuellement, cela se résume à quelques tableaux de genre, des chanteurs figés, des attitudes téléphonées et terriblement prévisibles. Reprendre une production n'est pas un mal en soi, au contraire. Mais pas dans de telles conditions anti-théâtrales.

En revanche, musicalement – et c'est là la «signature positive» de l'ère Joël – les oreilles ont de quoi être comblées. Bien sûr il s'agit d'un spectacle «routinier» d'une maison lyrique, bien préparé musicalement. dirige un peu à la hussarde : l'orchestre sature, les cuivres brament, sans jamais que cela ne devienne vulgaire ou déplacé – un peu à la manière de Gergiev en somme. Ce Tchaïkovski-là vit et possède une âme, et qu'importe si cette direction parfois trop abrupte ait provoqué de menus décalages entre la fosse et la scène.

La distribution, sans être exceptionnelle, reste équilibrée. Ludovic Tézier enfile de mieux en mieux le costume du romantique dépressif, après Werther et Posa. ne manque pas de décibels dans la voix, au point de tout passer en fortissimo. est un Lenski en pleine voix et au physique juvénile, et la révélation de la soirée en Olga, aux graves puissants et naturels. Parmi les «vieux routiers», Gleb Nikolski ne fait qu'une bouchée de l'air de Grémine. Nous n'en dirons pas tant de , aux moyens forts usés – ironiquement ses premières paroles dans l'opéra sont «Jadis t'en souvient-il je chantais…». Les seconds rôles sont tenus correctement, à commencer par en Triquet. Bonne prestation du chœur, relativement peu sollicité par la partition.

Pour avoir tout de même soigné la partie musicale, pourquoi ne pas avoir dépensé un peu d'énergie pour en faire un spectacle crédible scéniquement ?

Crédit photographique : (Eugène Onéguine) ; (Olga), (Madame Larina), (Tatiana) & (Filipievna) © Charles Duprat

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